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Basta !
Dans les quartiers Nord de Marseille, des salariés envisagent de transformer leur McDo en société coopérative
Article mis en ligne le 26 octobre 2018

Important pour la vie sociale locale, le restaurant McDonald’s de Saint-Barthélémy, dans les quartiers Nord de Marseille, est aussi un bastion syndical, où les conditions d’emploi sont bien meilleures que dans les autres restaurants de l’enseigne. McDonald’s France tente cependant de se débarrasser de son établissement, dans des conditions laissant craindre sa fermeture prochaine.(...)

C’était sans compter la résistance des 77 salariés, engagés depuis plusieurs mois dans un véritable bras de fer. Ils ont obtenu de la justice l’annulation de la vente, et envisagent de transformer leur McDo en société coopérative ! Un reportage tiré du numéro d’octobre du journal L’âge de faire, partenaire de Basta !.(...)

C’est précisément cet établissement que le groupe a décidé de fermer, déclenchant une lutte homérique qui oppose depuis avril de simples salariés au premier groupe de restauration rapide du monde – la multinationale, présente dans 119 pays, compte un total de 36 000 restaurants, pour un chiffre d’affaires cumulé de 80 milliards d’euros.
Situé dans les quartiers Nord de la cité phocéenne, le fast-food de Saint-Barthélémy est plus qu’un simple McDo : « C’est un lieu de vie et de rencontres, décrit Kamel avec fierté. Il y a des gens, ici, qui n’ont pas mis les pieds en dehors du quartier depuis plus de dix ans. Il y a par exemple des mamans qui n’ont aucune distraction, aucun espace de liberté. Alors parfois elles viennent au McDo boire un café ou manger un sandwich entre amies. Elles savent qu’elles pourront discuter pendant que leurs enfants seront aux jeux. » « Ce McDo, c’est un peu la place du village, où les gens peuvent se retrouver pour discuter. D’ailleurs ici, personne ne vous demande de sortir si vous ne consommez pas assez », confirme Salim Grabsi, un ancien salarié, aujourd’hui très actif dans la vie associative du quartier.
« Cet établissement est un intégrateur, un amortisseur social »
Dans cette zone où les usines et les commerces ont fermé les uns après les autres, et où la République ne met plus guère les pieds [1], le McDo constitue un petit poumon économique auquel les salariés ont su donner une forte dimension sociale. (...)

« On ne veut pas d’un truc communautaire, on veut que tout le monde puisse venir »
En début d’année, les salariés apprenaient que le franchisé et le groupe – ils possèdent l’établissement à 50-50 – comptaient revendre leur restaurant à un obscur homme d’affaires, lequel aurait un projet de « fast-food asiatique halal » [3]. « On prend ça comme une insulte, c’est très stigmatisant : on est dans les quartiers Nord, donc on est tous musulmans ?!, interroge Kamel. Nous, on ne veut pas d’un truc communautaire, on veut que tout le monde puisse venir. » Quant au prétendu repreneur, il est totalement inconnu, ne s’est jamais présenté devant les salariés, ne possède à l’heure actuelle aucun restaurant...
Les représentants syndicaux en sont persuadés : ce n’est qu’un homme de paille. Et son prétendu projet de reprise, incluant la promesse d’embauche de l’ensemble du personnel, n’est fait que pour permettre à McDonald’s de se séparer de ses 77 salariés, trop encombrants, sans avoir à mener de « plan social ». « Notre lutte, c’est une lutte pour la dignité. On sait que la cause est juste, martèle Tony Rodriguez, représentant syndical Sud (Union Solidaires). Nos revendications ne sont pas mirobolantes, on veut juste travailler ! Or ce projet est complètement loufoque. Il ne tient pas la route. »
Pour les salariés, la désillusion est d’autant plus forte qu’ils avaient fini par croire que les valeurs qu’ils défendaient dans leur établissement étaient partagées par l’entreprise. Avec ce projet de revente, ils « prennent conscience que les intérêts de l’organisation et, par là même, la loi du profit passent toujours avant ceux de l’individu »(...)

Pour Me Blindauer, l’objectif pour McDonald’s France est ailleurs : faire disparaître l’un des très rares bastions syndicaux au sein de McDo. Le prétendu repreneur « n’est pas là pour faire prospérer l’entreprise, il est là pour la couler ! », estime l’avocat.
Projet de reprise en Scop
Le McDonald’s de Saint-Barth’, en effet, a été façonné au fil des années par ceux qui y travaillent. Il ne correspond donc plus au « modèle social » de l’entreprise. Il s’agit certes, comme dans 84% des cas, d’un restaurant franchisé. Mais le nombre de salariés de cet établissement, 77, y est inhabituellement élevé. « McDonald’s utilise très généralement l’astuce suivante : un restaurant McDo = une société juridiquement distincte de toutes les autres. Et il est très rare qu’un restaurant seul emploie plus de 50 salariés en équivalent temps plein. Ainsi, un franchisé peut être à la tête d’un ensemble de 20 restaurants et employer plus d’un millier de salariés, tout en y appliquant le droit du travail qui prévaut dans les sociétés de moins de 50 salariés », indique le rapport Le Système Mcdo [5].
L’établissement de Saint-Barth’ est ainsi l’un des rares qui dispose d’un comité d’entreprise et d’un CHSCT. Autre particularité, les employés sont pour la plupart en poste depuis plus de quinze ans, alors que le taux de remplacement national (ou « turn-over ») au sein de l’entreprise s’élève, selon certaines estimations, à 88 % par an ! Les salariés marseillais faisant valoir leurs droits, ils ont obtenu le 13e mois, la participation aux bénéfices, des primes trimestrielles, la prise en charge de la mutuelle à 95 % par l’entreprise… Dans la galaxie McDonald’s, ce n’est pas banal. Et comme la stratégie du groupe consiste notamment à maintenir au plus bas les frais de personnel, il ne faudrait pas que le cas marseillais fasse tache d’huile.
Or, justement, les syndicalistes de Saint-Barth’ vont prêcher la bonne parole aux quatre coins du pays – il y a plus de 1400 McDo en France – en incitant les travailleurs à défendre leurs droits. « Il n’y a que deux îlots de résistance chez McDonald’s en France : un à Paris, un à Marseille. Et là, le groupe pense avoir trouvé le moyen d’en faire disparaître un », a plaidé Me Blindauer. (...)

le 7 septembre, le juge des référés a annulé la vente du restaurant. Les salariés veulent désormais récupérer la franchise de l’établissement et créer une société coopérative et participative (Scop), qui leur appartiendrait. Le groupe fait pour l’instant la sourde oreille. Une stratégie qui, pour Ralph Blindauer, pourrait conduire la multinationale à s’embourber... L’avocat n’exclut pas que « Marseille devienne le Vietnam de McDonald’s ! »