
La psychiatre Muriel Salmona, à la tête de l’association Mémoire traumatique et victimologie, qui aide les personnes ayant subi des violences sexuelles, revient sur l’affaire Duhamel révélée par le livre de Camille Kouchner, “La Familia grande”. Elle estime qu’il faut une réelle volonté politique pour que les choses changent.l
Muriel Salmona, psychiatre, dirige l’association Mémoire traumatique et victimologie, fondée en 2009, qui prend en charge des victimes de violences sexuelles, aux nombreuses conséquences : sidération, dissociation traumatique, conduites à risque, multiples troubles de la personnalité. Ces violences, martèle-t-elle, font partie, avec les tortures, des traumatismes les plus sévères et ont des effets catastrophiques à long terme sur la santé mentale et physique des victimes.
Reconnue internationalement pour ses analyses et les soins à apporter aux victimes, travaillant avec le gynécologue-obstétricien Denis Mukwege (Prix Nobel de la paix 2018, il soigne les femmes victimes de viol de guerre en République du Congo), elle est de plus en plus citée par des victimes, comme Camille Kouchner qui vient de révéler, dans son livre La Familia grande, l’inceste subi par son frère jumeau par leur beau-père Olivier Duhamel. Échange avec Muriel Salmona à quelques jours de la révélation de l’affaire Olivier Duhamel et avant que n’éclate celle du plasticien Claude Levêque visé par une enquête pour viols et agressions sexuelles sur mineurs. (...)
Parmi les victimes de violences sexuelles, les mineurs ont longtemps été mal pris en charge car peu entendus, peu crus…
Cela a été un très grand combat. On évoquait la maltraitance dont sont victimes les enfants, mais il y avait une omerta pour les violences sexuelles. On les oubliait. Il a fallu attendre la publication d’études très précises dans les années 2010 pour que cela commence à changer. Cliniquement, je constatais chez mes patientes qui subissaient des violences sexuelles adultes qu’elles en avaient souvent déjà subi enfant. Je n’ai jamais pu penser que les gens qui vont mal, sont dépressifs ou souffrent d’addictions le sont « pour rien ». Qu’ils « s’autodétruisent » sans raison. Il y a forcément quelque chose derrière.
Durant mes études de médecine, dès que j’ai eu des responsabilités cliniques, j’ai commencé à questionner mes patients sur leur histoire. Ressortaient toujours des réponses, souvent effarantes, sur des violences dans l’enfance et particulièrement sur des violences sexuelles, incestueuses. Pour moi, le lien était fait. Et cela m’a toujours révoltée de voir que cela n’intéressait personne. L’avènement d’Internet qui me donnait accès à toutes les études, canadiennes et américaines notamment, m’a permis de monter vraiment au créneau. Avant, ces données étaient fragmentées et isolées. Mais grâce à Internet, on a pu se connecter et ce réseau m’a permis de conforter mon expérience clinique. Et de voir dans quelles directions il fallait travailler en termes d’explication, de compréhension et d’analyse par rapport aux mécanismes psycho-traumatiques.
Le fil pour moi, c’était vraiment de rendre justice aux victimes, en leur restituant vérité et dignité. II y a une particularité dans les études autour des enfants victimes de violences sexuelles : une vraie « générosité » — le qualificatif peut paraître bizarre — des chercheurs et des professionnels de santé, qui ont essayé de diffuser au maximum leurs travaux gratuitement, afin de les rendre accessibles à tous, avec une conscience éthique mais aussi politique dans le sens noble du terme.
“Le mot victime est un terme d’accès à des droits, de possibilité d’être reconnu, aidé, réparé !”(...)