
Mercredi 19 décembre, le Pacte mondial sur les migrations sera ratifié par les États membres de l’ONU, à New York. En France, plus de 100.000 demandeurs d’asile sont enregistrés chaque année. Et accueillis dans des communes, comme à Luzy, dans le Morvan, où leur arrivée dynamise la vie locale.
(...) Sur la quinzaine de tables dressées ce dimanche 9 décembre, tout est gratuit, même le goûter. La manifestation organisée par le Sel (système d’échange local) du canton grâce aux dons déposés par les riverains la veille, est ouverte à tous. Dans cette salle municipale de Luzy, se côtoient une trentaine de Nivernais installés de longue date, souvent nés à quelques kilomètres d’ici tout au plus, et des demandeurs d’asile arrivés au compte-goutte dans la commune à partir du 12 novembre 2018. (...)
Quelques bénévoles avaient prévenu chacun des exilés de la tenue de l’événement. L’objectif était de créer un espace de rencontre supplémentaire pour favoriser leur intégration dans la vie du village. « Et le climat, à Luzy, c’est très différent de l’Albanie, alors ? » demande Laurent à un nouveau venu, qui lui répond d’un signe de main affirmatif. Tout sourire, un autre fait des tours du quartier sur son vélo rouge, une petite fille en amazone sur le cadre. Ailleurs, Stéphanie échange avec deux Iraniennes fraîchement débarquées, qui bredouillent quelques mots d’anglais. « Vous venez demain à l’atelier [bihebdomadaire d’activités manuelles] ? Ce sera poterie, vous connaissez ? » Elles promettent, intriguées et amusées. (...)
Le Morvan a beau fournir chaque année le sapin de Noël de l’Élysée, il se dépeuple rapidement. Au début des années 1980, la commune de Luzy abritait près de 3.000 habitants contre un peu moins de 2.000 aujourd’hui. Sur les 40 appartements de l’immeuble de HLM rue Lafond, à 400 m de la rue du Commerce, 26 sont vides faute de demande. Y sont désormais logés cinq familles albanaises, une Kazakh, deux Iraniennes et onze Afghans et Sénégalais seuls, soit 37 personnes au total. Tous fuient les persécutions de leurs pays d’origine et sont pris en charge en tant que demandeurs d’asile. Dans 3 à 18 mois, ils sauront s’ils peuvent rester définitivement en France ou s’ils seront reconduits à la frontière. D’ici là, chaque famille touche au maximum 17 € par jour d’aides de l’État, et la préfecture paye les loyers au bailleur social. (...)
« Dans les conditions actuelles, nous allons vivre avec des réfugiés. Ne serait-ce que pour des raisons climatiques, c’est inévitable. Autant prendre les devants » (...)
Depuis la crise de 1929, la mairie de Luzy a été pendant 84 ans aux mains de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) puis du Parti socialiste. Ses 2.000 habitants sont très majoritairement favorables à l’accueil de ces nouveaux voisins, comme le montre le dernier micro-trottoir de France 3 Bourgogne. Reporterre a cherché à rencontrer des Luzycois qui y seraient aujourd’hui opposés, parmi les plus défavorisés comme les plus aisés, en vain. « Nous, les habitants du HLM [rue Lafond] sommes les premiers concernés, commence Éric [*]. Et on trouve que tout se passe bien, on n’a pas peur. » Le plus important pour le trentenaire fatigué, c’est que « les Albanais disent bonjour » et qu’ils aident régulièrement sa mère à monter ses courses.
Les panneaux géants « village du futur » à l’entrée du bourg sont synonymes de maintien des services publics et d’initiatives écologiques. Depuis son élection en 2014, Jocelyne Guérin est une maire super-active. « Je pilote ma ville comme une entreprise et je veux qu’elle soit ambitieuse », dit l’élue à Reporterre. L’ancienne directrice départementale de la Caisse d’épargne et ex-adjointe à la culture cherche à rendre sa ville la plus attractive possible. À l’aide d’investissements et d’emprunts mais aussi des bonnes volontés locales, Luzy fait ainsi figure d’exception dans le sud du Morvan, qui est déserté par les commerces et les services publics. La gare de la commune, la poste, le centre médical, la bibliothèque, les écoles maternelle et primaire et le collège, les commerces et le marché tournent à plein régime, et 70 associations sportives, culturelles et sociales animent un complexe sportif, un restaurant végétarien, une boutique à petits prix, une Amap, des salles de concert, un cinéma et une grande halle de 2.500 m². Fête de l’accordéon ou du violon, Rock’A’Bylette : plusieurs festivals par an drainent jusqu’à 3.000 visiteurs par jour, y compris des étrangers. (...)
En 2015, Jocelyne Guérin avait présenté sa volonté d’accueillir des migrants à la suite d’un grand appel de l’État. (...)
Depuis la fin du mois de septembre 2018, les partis de droite extrême ont lancé leurs offensives depuis l’extérieur de Luzy. Lorsqu’elle a eu vent du projet de la préfecture, la section dijonnaise du Rassemblement national (RN, ex-FN) a déposé dans les boîtes aux lettres de la commune des tracts contre les migrants. Quelques jours plus tard, elle a lancé une pétition contre le Shuda de Luzy, rapidement signée par quelque 400 personnes — dont une écrasante majorité ne réside pas à Luzy, ont indiqué à Reporterre des sources concordantes. Elle est suivie d’une autre, mise en ligne par Debout la France (DLF), le parti du Nicolas Dupont-Aignan. Joint par téléphone, le responsable du parti pour la circonscription, Pascal Lepetit, ne tarde pas à révéler le fond de sa pensée : « Une partie des terroristes du Bataclan sont venus en France grâce à la “filière réfugié”. Maintenant, des mamies de 80 ans vont vivre à Luzy avec des personnes d’une autre culture et religion qu’elles », dit-il. Son discours est ponctué d’erreurs factuelles — « 100 % des demandeurs d’asile sont musulmans ». (...)
prendre le temps de discuter avec les habitants. Les rumeurs qui circulent à une vitesse folle et auxquelles Reporterre s’est retrouvé confronté sur place à plusieurs reprises sont en effet le premier obstacle à surmonter : par exemple, sur le marché de Luzy, Christian [*], installé dans une ville à quelques dizaines de kilomètres, se dit « plutôt contre l’arrivée de migrants ici. Quand on sait que c’est des employés du gouvernement qui vont les chercher exprès dans leurs pays contre leur gré, pour qu’il se retrouve à mendier ici, c’est débile ». (...)
L’activité la plus chronophage consiste « à expliquer à ceux qui en bavent, dans les rues et au marché, que ce ne sont pas [les exilés] qui leur prennent ce qu’ils n’ont pas. Et que le Front national n’a aucune solution réelle à apporter à ces difficultés ». Le succès est au rendez-vous : la dernière fois que Pascal Lepetit, le responsable de Debout la France, est venu à Luzy, il tractait seul sur le parking du supermarché, à 20 km de chez lui. Personne n’a conservé ses prospectus. (...)