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Street Press
Dans l’ombre de Matzneff, l’extrême droite pédophile
Article mis en ligne le 12 novembre 2020
dernière modification le 11 novembre 2020

« La presse d’extrême droite est hystériquement hostile aux “pédophiles”. Ils sont à ses yeux l’ennemi N°1, l’incarnation de la gauche abhorrée, et cela me fait rigoler car j’ai connu, je connais un très grand nombre de “pédophiles” et ils étaient, ils sont presque tous de droite ou d’extrême droite. » (1) Quand il écrit ces mots dans son journal en 2014, les propos de Gabriel Matzneff ne créent pas la polémique. Ils ne le font pas davantage quand ils paraissent dans son ouvrage La Jeune Moabite. Journal 2013-2016, chez Gallimard en 2017.

Depuis fin 2019, l’écrivain est visé par une enquête pour viol sur mineur et sera jugé en 2021 pour apologie de viol aggravé. Son affaire rappelle qu’il y a longtemps eu une apologie de la pédophilie dans les années 70-80. À gauche, avec des tribunes d’intellectuels ou des articles de Libération notamment. Mais aussi à droite. « La question de la défense de la pédophilie n’est pas qu’un truc uniquement lié aux mouvances gauchistes, c’est quelque chose de très transversal politiquement », indique Pierre Verdrager, sociologue et spécialiste de la question de l’apologie de la pédophilie dans la société française, qu’il aborde dans son ouvrage L’enfant interdit, comment la pédophilie est devenue scandaleuse.

Mais après l’affaire Matzneff les critiques ciblent fortement la gauche (...)

Dans son numéro sur « la terreur LGBT », le journal d’extrême droite et marioniste l’Incorrect pointe l’apologie de la pédophilie dans les milieux LGBTI. Ils oublient de rappeler que des pans de l’extrême droite ont fait leur part.. (...)

La plupart de ces articles se basent sur le travail de Pierre Verdrager. Il consacre pourtant un chapitre entier à l’apologie de la pédophilie au sein de l’extrême droite et s’étonne de ne pas le voir repris dans les canards de la mouvance :

« C’est la grande malhonnêteté de l’extrême droite actuelle : essayer d’instrumentaliser la défense de la pédophilie par la gauche dans ces années-là, en omettant le fait que, dans ces mêmes années, des courants d’extrême droite ou de droite dure ont été tout à fait favorables à ce que Matzneff avait défendu. »

Le soutien de la Nouvelle Droite

Les plus fidèles soutiens de Gabriel Matzneff sur ce bord politique sont à trouver au Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (Grece), le think tank de la Nouvelle Droite. Christopher Gérard, écrivain de cette mouvance, a été par exemple responsable de l’association des amis de Matzneff. Et Alain de Benoist, tête pensante du Grece, est aussi un défenseur de l’écrivain. Il lui a consacré un texte dithyrambique, intitulé « L’Archange Gabriel », dans le N°60 de la revue d’extrême droite Éléments, en 1986. StreetPress a pu mettre la main sur cette archive. Il y aborde notamment les penchants pédophiles de l’auteur, qui seraient à l’époque critiqués :

« Qu’un écrivain déclare, comme la chose la plus naturelle du monde, qu’il préfère le commerce charnel des très jeunes personnes aux turpitudes classiques de ses contemporains, et il n’en faut pas plus – en pleine société “permissive” (sic) – pour le faire passer pour le Diable dans le Landerneau parisien. »

Pour Alain de Benoist, c’est « ce scandale qui [le] scandalise » :

« Il me semble, selon mon échelle de valeurs personnelles, qu’il est plus “scandaleux” de regarder les jeux télévisés, de jouer au Loto (…) que d’avoir la passion des fesses fraîches, des émotions naissantes et des seins en bouton. »

Selon Pierre Verdrager, qui notait déjà les propos de l’intellectuel dans son ouvrage, la position d’Alain de Benoist s’explique par « un racisme de classe très fort ». « Avoir une attitude pédophile, c’est être contre le sens commun, contre la plèbe, les gens ordinaires. C’est très important pour De Benoist ou Matzneff de mépriser ces personnes », pense le chercheur. De son côté, Alain de Benoist répond que l’article date de « 40 ans ou presque ». « Je n’ai pas grand-chose à dire là-dessus », indique-t-il. L’intellectuel d’extrême droite souligne que lui et Matzneff sont « amis de longue date » et qu’il lui trouve « beaucoup de talent » (...)

La « promotion sociale »

Pour le leader du Grece, coucher avec Matzneff était « une sorte de promotion sociale », rappelle Pierre Verdrager. Une phrase d’Alain de Benoist y fait référence dans son éloge de 1986 :

« Quant aux jeunes personnes qui fréquentent Gabriel Matzneff, je ne doute pas qu’elles apprendront à son contact plus de choses belles et élevées que dans la vulgarité et la niaiserie que sécrète à foison leur vie familiale et scolaire. »

L’opinion défendue par De Benoist illustre la différence de l’apologie de la pédophilie entre la droite et la gauche. « Si le résultat est le même, il y a des modalités propres », détaille Pierre Verdrager. À gauche, c’est une « relation symétrique ». « On dit que les adultes ont des âmes d’enfants et que les enfants sont des personnes comme les autres. C’est la manière de réduire le différentiel, afin de rendre légitime les relations », explique le sociologue. À droite, c’est « asymétrique » : « On va mettre la relation en évidence avec des références à la Grèce antique et la pédérastie. Il y a l’idée qu’il y a une vraie différence et qu’il faut apprendre à l’enfant des choses ».
Les autres figures de l’extrême droite (...)

un autre texte critique « l’incroyable diabolisation des rapports sexuels entre adultes et mineurs (même les simples attouchements) ». Cet énoncé va même jusqu’à réinterpréter le silence des victimes : « Loin de créer un traumatisme chez le jeune adolescent (…), la relation qu’il a vécue avec un homme qui, dans 80% des cas, était un proche de sa famille ou un éducateur qu’il connaissait bien, a été suffisamment bien vécue et assumée pour qu’il n’éprouve pas le besoin de se plaindre. » (...)

Au milieu de ses pages, Gaie France publie souvent des photos d’enfants sans raisons apparentes. La plupart du temps, les garçons y sont complètement dénudés et dans des poses parfois pédopornographiques. (...)

Les néonazis dans la place

Le directeur de publication de Gaie France a un sacré CV. Michel Caignet est un ancien dirigeant de la Fédération d’action nationale et européenne (Fane), groupe antisémite et violent des années 70 et 80. Il a même été arrêté en 1975 en Autriche avec un uniforme SS et un brassard nazi dans sa valise. Son activisme lui vaut d’être agressé au vitriol par des militants juifs en 1981. Défiguré, il fait ensuite partie du comité pour la préparation du centenaire de la naissance d’Adolf Hitler. (...)

L’homme a un petit carnet d’adresses et attire dans ses colonnes Alain de Benoist ou Roger Peyrefitte – cousin éloigné de l’ancien ministre de la Justice Alain Peyrefitte. Cet écrivain détenteur du prix Renaudot 1945 se revendique membre du Front national, « excellent ami » de Matzneff et même d’être un « diplomate pédéraste ».

Après la disparition de Gaie France, Caignet devient le directeur de la revue Palaestre, qui est elle aussi interdit à la vente aux mineurs en 1994 pour « incitation à la pédophilie ». « C’était plus confidentiel, ça se trouvait sous le manteau », raconte le spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus. (...)

Derrière ce néonazi, on trouve aussi Bernard Alapetite, un ponte de l’extrême droite pédo-nationaliste. Ce dernier est un des photographes de Gaie France. Il a fondé d’autres journaux pédophiles, récupérés ensuite par Michel Caignet. L’un d’entre eux est P’tit Loup décrit par Pierre Verdrager dans son livre comme « spécialisé dans les tout jeunes enfants – presque tous impubères, entre cinq et dix ans pour la plupart – et comportait de nombreuses photos de nus ». Avant cela, Alapetite a participé dans les années 70 à la revue néofasciste Défense de l’Occident et à Éléments, le mag’ du Grece – dont il revendique avoir été un des premiers membres. « Il était également à Ordre nouveau) et au Parti des forces nouvelles) [Deux mouvements néofascistes. L’un a participé à la création du FN, l’autre en est une scission, ndlr] », rappelle Jean-Yves Camus, qui précise que les partis politiques n’ont jamais tenu cette ligne d’apologie. « C’étaient des comportements personnels. »
Des procès pour pédophilie

Caignet et Alapetite finissent sur le banc des accusés à la fin des années 90. (...)

Bien que ces personnalités néofascistes aient longtemps gravité au sein de l’extrême droite, Pierre Verdrager rappelle néanmoins qu’il y a « une extrême droite très hostile à la pédophilie depuis toujours ». « Je pense qu’elle est clivée, c’était le cas aussi à gauche. Tout comme chez la communauté homosexuelle. Il n’y avait pas de consensus sur ces questions-là », analyse-t-il. (...)