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Daniel Mermet : « On est tombé en panne de futur »
Article mis en ligne le 13 août 2016
dernière modification le 9 août 2016

(...) vieux briscard de la radio française : l’émission qu’il fonda, Là-bas si j’y suis, fut arrêtée par la direction de France Inter il y a un an de cela ; il officie, depuis, aux côtés de ses camarades et collègues, sur Internet. Nouveau support mais même ligne : donner à entendre les négligés et les effacés, passer outre les clivages qui disloquent, avec tant d’inutiles passions, la gauche radicale, et, surtout, s’adresser à ceux qu’il a connus durant cette enfance qu’il nous conte : « les nôtres », dit-il, le tout un chacun, donc le grand nombre.

(...) Là-bas si j’y suis, c’est d’abord du reportage. Mais nous avons voulu faire entendre certains « penseurs », comme on dit — Castoriadis ou Lordon, Bensaïd ou Badiou, et d’autres, dont les petits chefs qui dirigent les médias vous diront que « ça n’intéresse pas les gens ». Nous avons prouvé le contraire. Nous avons eu d’excellentes audiences avec ces auteurs-là auprès du grand public. Là-bas si j’y suis a même battu des records. Le grand public a envie de comprendre (un de nos directeurs adorait, lui, répéter la réplique d’Audiard : « Je ne parle pas aux cons, ça les instruit. »...). Nous avons présenté une série d’entretiens en 2007 avec Noam Chomsky. « L’intellectuel vivant le plus cité au monde » n’avait jamais été entendu sur France Inter, et une seule fois, dans les années 1970, sur France Culture. De cette rencontre, nous avons réalisé un film avec Olivier Azam, Chomsky et Cie, qui a très bien marché en salles comme en DVD. Chomsky et Zinn étaient très proches, de la même génération, souvent engagés dans les mêmes combats. J’ai rencontré Zinn en 2003, à Paris, au moment de la sortie en français de son Histoire populaire des États-Unis. J’ai tout de suite aimé l’homme et son livre. Ce bouquin était paru en 1980, avec un énorme succès et des traductions dans toutes les langues... sauf en français.

« Nous n’avons aucune certitude que ce que nous faisons peut changer le monde. Mais il y a du monde pour refaire le monde — beaucoup plus qu’on ne le croit. » (...)

Avec la chute du mur de Berlin en 1989, on a proclamé la fin de l’histoire et le règne de TINA — « There is no alternative ». On est tombé en panne de futur — comme si, soudain, nous n’avions plus de devenir. Nous avons été frappés par une immense crise de foi. En revenant sur les turbulences de l’Histoire, avec ce film, on revient dans le champ des idées. Oui, il y a des fatalités et des forces imprévisibles qui nous dominent, mais il y a toujours des marges de manœuvre, des portes parfois étroites et parfois des fleuves larges ; il y a des moments qu’il faut être prêt à investir et sur lesquels ont peut agir politiquement, comme l’Histoire le montre. (...)

Ici, en France, en 1914, et un peu partout en Europe, ce courant socialiste était très puissant, très populaire, et en passe de s’imposer. Voilà pourquoi ils ont tué Jaurès. Dans sa Grammaire des civilisations, le très peu révolutionnaire Fernand Braudel écrit : « On a le droit d’affirmer que l’Occident de 1914, autant au bord de la guerre, se trouve au bord du socialisme. Celui-ci est sur le point de se saisir du pouvoir et de fabriquer l’Europe moderne. En quelques jours, en quelques heures, la guerre aura ruiné ces espoirs. » (...)

Cette guerre a été une aubaine pour le capitalisme. C’est la première guerre mondiale du capitalisme. Aux États-Unis en 1917 est apparu le « Red Scare », la Peur des rouges, liée à la Révolution bolchevik — prétexte à une répression violente contre le mouvement populaire. L’anticommunisme a été la colonne vertébrale des États-Unis jusqu’à la chute du mur. L’islamisme a pris le relais dans le rôle de l’adversaire structurant. (...)

« Il faut un monstre à abattre : Saddam Hussein, Milošević, Ben Laden... Aux armes ! Comment peut-on hésiter ? Si tu hésites, tu es un munichois, un collabo, un islamo-gauchiste... » (...)