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Alternatives Economiques
D’AUTRES POLITIQUES ÉCONOMIQUES SONT POSSIBLES
Jean-Marie Harribey
Article mis en ligne le 23 décembre 2018
dernière modification le 21 décembre 2018

Il faudra sans doute attendre plusieurs semaines ou mois pour apprécier toutes les retombées du mouvement social des Gilets jaunes. Mais, d’ores et déjà, on sait qu’une question a été mise sur la table et ne pourra plus être occultée : l’écologie ne peut être sauvée sans le social et vice versa. Dès lors, la légitimité, la faisabilité et l’acceptabilité des taxes écologiques doivent être entièrement repensées. Faute d’avoir compris ou voulu comprendre cela, le président Macron vient de connaître un cuisant échec.

Pourquoi des taxes écologiques ?

L’idée de taxer les pollutions, de décourager les utilisations de combustibles fossiles, et celle au contraire de favoriser les activités propres sont de bon sens. Leur principe est d’ailleurs largement accepté, même par les experts faisant habituellement confiance aux vertus régulatrices prétendument spontanées du marché. Ces derniers théorisent cela sous le nom d’internalisation des effets externes indésirables. En particulier, taxer l’envoi de carbone dans l’atmosphère paraît souvent comme une alternative au marché des permis d’émission européen qui ne réussit absolument pas à inverser la tendance des émissions de gaz à effet de serre et qui est devenu un marché spéculatif[1]. Mais se contenter d’augmenter les prix en introduisant des taxes ouvre-t-il la voie à un changement des comportements[2] ?

Avec bien des vicissitudes et des retours en arrière, la législation française a peu à peu introduit le principe d’une taxe carbone pour former lataxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui est fixée forfaitairement par la loi de finances annuelle. (...)

Ce surcoût brutal pour les ménages, ajouté à la hausse de la CSG et à l’érosion des salaires et des pensions, a été le déclencheur de la révolte des Gilets jaunes. Cette révolte a montré que ces taxes ne peuvent pas être imposées dans n’importe quelles conditions. Bien que, sur le très long terme, le prix réel du carburant ait jusqu’à présent diminué (une heure de SMIC pouvait acheter 3 litres de carburant en 1973, elle en achète 6 en 2018), l’impact de cette baisse est noyé par la montée des dépenses contraintes et de celles dictées par les normes de consommation actuelles. Il s’ensuit que la demande de carburants est trop contrainte pour être sensible à l’augmentation de leur prix. La croyance selon laquelle le « signal-prix » est à lui seul capable de transformer la société est révélatrice de l’imaginaire libéral peuplé d’individus rationnels agissant hors de toute structure sociale et excluant toute volonté politique. « L’imposture Macron »[3] est tout entière là.

Autrement dit, si le président Macron avait voulu tuer l’idée de taxes écologiques et enterrer pour longtemps la nécessité d’une transition sociale et écologique, il ne s’y serait pas pris autrement (...)

Qui paie les taxes écologiques ?

Il est contradictoire de faire payer le carbone envoyé dans l’atmosphère au prix fort par les ménages via leur consommation, alors que les entreprises les plus polluantes ne payent presque rien dans le cadre du marché européen des permis d’émission. Les quotas d’émission sont distribués gratuitement aux entreprises européennes soumises au Protocole de Kyoto[4] et couvrent environ 90 à 95 % de leurs émissions.(...)

On a même vu certaines années le coût tomber à zéro puisque les quotas accordés dépassaient les besoins. La multinationale Arcelor Mittal a ainsi réalisé 89 millions d’euros de profits en 2016 et 2017 en revendant son surplus de quotas[5]. Pour les consommateurs de carburant en revanche, le prix de la tonne incorporé à la TICPE est de 39 €.

Une deuxième contradiction réside dans le poids des taxes écologiques pour les plus pauvres. (...)

Il s’avère donc que la conception de Macron de la transition écologique, s’il tant est qu’il en ait une, est profondément injuste socialement. Le scandale a éclaté lorsqu’il est apparu que les largesses fiscales accordées aux riches et aux entreprises étaient politiquement et moralement insupportables : suppression de l’ISF, flat taxde 30 % pour les revenus du capital non soumis à l’impôt progressif, 20 milliards de CICE et 20 autres milliards de baisse des cotisations sociales pour les entreprises en 2019 – rappelons que 40 milliards représentent l’équivalent de près de la moitié de l’impôt sur le revenu. Et certains experts suggèrent de substituer les taxes écologiques aux cotisations sociales[9]. On comprend que le gouvernement soit tenté de compenser ainsi les largesses fiscales accordées par ailleurs. Le 10 décembre 2018, le président Macron a confirmé cette tendance en annonçant la défiscalisation et désocialisation des heures supplémentaires.

À cause de la manière dont elles sont mises en œuvre, le risque est de voir la notion même de taxes écologiques remise en question (...)

Les conditions de taxes écologiques pertinentes

À rebours de la conception gouvernementale, deux séries de conditions doivent être impérativement remplies pour une fiscalité écologique cohérente : il faut qu’elle soit juste et qu’elle s’inscrive dans un processus de transformation complète du système productif. (...)

Une fiscalité juste

Les exonérations de taxes portant sur l’utilisation de kérosène, de fioul lourd, de gazole professionnel, les exonérations concernant le transport routier, aérien et maritime, ainsi que les taxis, ne sont plus admissibles. Il en est de même des subventions ou des financements bénéficiant toujours aux extractions de combustibles fossiles. Les entreprises doivent payer le coût de leurs émissions polluantes. Cependant, il faut se garder de l’illusion que cela n’impacterait pas les consommateurs, parce que toutes les entreprises répercutent dans leurs prix l’ensemble de leurs coûts. Au final, donc, les consommateurs paient tous les coûts, dont les taxes. Mais le pari est de contraindre ou d’inciter les entreprises à mettre en œuvre de nouveaux processus productifs plus économes et plus propres qui, à terme, diminueraient leurs coûts.

Jusqu’ici, les primes à la conversion de véhicules, le chèque énergie, la prime transport, le chèque carburant ont davantage profité aux ménages aisés qu’aux ménages pauvres et ne permettent pas à ceux-ci de réduire leur dépendance à l’égard des énergies fossiles. Afin de compenser le fait que les prix sont finalement à la charge du consommateur, les mesures d’aides aux ménages pour faciliter leur mobilité ou rénover leur logement pourraient être dégressives en fonction des revenus. (...)

La transformation complète du système productif

Le vice fondamental des politiques gouvernementales en matière d’écologie est de ne pas engager une véritable transformation des structures productives, seule capable, à moyen et long terme, d’enraciner la modification des comportements individuels et d’en faire comprendre la nécessité. Cette reconversion du système productif passe par la priorité donnée aux transports collectifs de proximité pour « des mobilités alternatives à la voiture »[11], la construction de bâtiments et logements à basse consommation énergétique ou à énergie positive et l’isolation des anciens bâtiments et logements, la transformation du modèle agricole et agro-alimentaire dans le sens de l’agro-biologie, la durabilité et la qualité des produits industriels. Évidemment, on touche là au cœur même de la logique du système. C’est dire que la remise en cause du profit comme boussole de la société est en jeu. (...)

Le premier ministre Édouard Philippe a tenté une dernière manœuvre de manipulation : « vous voulez moins d’impôt, il faudra donc baisser les dépenses publiques ». Le mouvement social lui a répondu par avance : « nous voulons des services publics de qualité, ce n’est pas négociable ». La dépense publique correspond en effet pour une grande part à la contrepartie du travail productif de services non marchands ayant une vraie valeur économique ajoutée. Finissons-en donc avec l’idée que le secteur public non marchand parasite le secteur marchand, il borne seulement l’espace de valorisation du capital.

Le plus grave danger serait que le gouvernement, acculépar un mouvement social inédit par sa forme et sa détermination, en profite pour renvoyer aux calendes grecques toute perspective visant à rendre socialement possible l’indispensable transition écologique, dont des taxes bien orientées seraient un des moyens (...)