
Dans la sous-préfecture du Pas-de-Calais, face à la Manche, les associations dénoncent les pressions à leur encontre et envers les migrants qu’elles tentent d’assister au quotidien.
(...) C’est ici que les associations viennent se positionner depuis plusieurs mois, au plus près de l’un des principaux lieux de vie des "exilés", un terme qu’elles préfèrent à "migrants". Leurs campements, sortes de mini-bidonvilles constitués de toiles de tentes posées sur des palettes, sont disséminés dans Calais depuis l’évacuation de la "jungle", en octobre 2016. Six zones sont répertoriées par les associations à l’orée de la ville, même si quelques personnes dorment aussi dans des bosquets ou sous les ponts du centre-ville. (...)
Les quatre bénévoles du Secours catholique sont arrivés les premiers sur place. C’est jour de "recharge". Deux fois par semaine, l’association se rend ici avec un générateur qui vient alimenter une pieuvre de multiprises. Chacun peut venir y charger son téléphone. L’association Salam les rejoint pour assurer la tournée quotidienne de petits déjeuners : elle en distribue 1 000 chaque jour, dans différents points de la ville. Une file se forme devant le stand de nourriture. Beaucoup de Soudanais, mais aussi des Afghans, des Syriens, des Kurdes, ont bravé les 4 °C de cette fin d’automne. (...)
"Harcèlement" policier
Tous les jours ou presque, les migrants sont expulsés manu militari de leurs lieux de vie. Cinq ans après la destruction de la "jungle", qui était devenue le plus grand bidonville de France, les policiers ont un mot d’ordre : lutter contre toute installation de campements. "Leurs tentes sont systématiquement saisies. Elles ne sont plus lacérées depuis la récente polémique, mais jetées dans des bennes, donc l’effet est le même", pointe Antoine, l’un des quatre salariés du Secours catholique de Calais, qui déplore une logique de "harcèlement" des forces de l’ordre.
"A chaque expulsion, on leur confisque leurs effets personnels, et leurs lieux de vie sont régulièrement grillagés pour leur en empêcher l’accès."
Antoine, salarié du Secours catholique de Calais à franceinfo
Dans un rapport publié début octobre, l’ONG Human Rights Watch estime que "les pratiques de la police" sur le littoral "ont rendu la vie des migrants de plus en plus misérable".
"On passe nos journées à chercher à manger, à chercher où charger nos portables et à chercher où dormir", résume Moustafa, dans un français quasi parfait "appris avec des bénévoles et sur YouTube". Ce Soudanais aux yeux cernés, arrivé en France en 2015, transporte avec lui un petit sac à dos. "Ce sont mes affaires. Je préfère les prendre avec moi, plutôt que de les laisser dans ma tente. J’ai peur qu’on me les vole ou que la police les prenne s’il y a une évacuation." (...)
Les associations contrôlées "presque toutes les nuits"
Cette pression ne s’exerce pas seulement sur les migrants : les associations assurent qu’elles en sont aussi les cibles. Le jour de notre venue, un huissier a ainsi fait irruption pour annoncer aux bénévoles qu’ils occupaient illégalement les lieux : ce terrain boueux "appartient à Auchan", a-t-il expliqué. A ses côtés, un homme se présente comme le responsable de la sécurité de l’hypermarché. "C’est un membre de la BAC, je suis sûr de l’avoir déjà vu", glisse un bénévole. "Etant donné que vous êtes sur un terrain privé, vous allez devoir en laisser libre l’accès", explique l’homme. "Laisser libre l’accès à qui ?" lui rétorque Anna. "Il ne doit pas être occupé. Tout simplement", répond-il.
La procédure ne surprend personne : les équipes associatives voient régulièrement leurs actions entravées de la sorte. (...)
"Presque toutes les nuits, on a des contrôles policiers, des contrôles de véhicules, des contrôles de permis. Ce n’est pas illégal mais totalement abusif et très intimidant."
Marguerite Combes, coordinatrice de l’association Utopia 56 à Calais à franceinfo (...)
Pendant les confinements successifs, les membres d’Utopia 56 disent avoir été verbalisés au total "près d’une centaine de fois pour ’non-respect du confinement’", relève Marguerite Combes. Les équipes avaient beau cocher la case "déplacements pour l’assistance aux personnes vulnérables et précaires" et présenter une attestation employeur, rien n’y faisait. "On est en train de contester ces amendes une par une mais c’est des heures et des heures de travail en plus, tellement de temps perdu", souffle-t-elle. (...)
"Des roches, des buttes de terre" pour limiter les accès aux campements
Au-delà de ces contrôles ciblés, les travailleurs associatifs s’insurgent collectivement contre une "politique générale" visant à les empêcher d’aller à la rencontre des migrants. "Quand la police repère un point de distribution, le lendemain, on va découvrir un panneau ’Interdit de stationner’ qui va nous forcer à nous déplacer, observe Pierre Roques. Des rochers, des buttes de terre sont régulièrement érigés par la mairie sur ces lieux de rendez-vous pour nous en bloquer l’accès." (...)
Le chef de la police de Calais, Benoît Desferet, confirme que des rochers et des buttes de terre ont bien été érigés à certains endroits "pour éviter des distributions sauvages de repas et afin d’assurer la sécurité des riverains en limitant les situations de troubles à l’ordre public".
En outre, le périmètre de distribution d’eau et de nourriture est strictement encadré par un arrêté polémique, pris en septembre 2020 et prorogé chaque mois depuis. Celui-ci interdit "toute distribution gratuite de boissons et de denrées alimentaires dans certains secteurs de Calais."
"Au départ, l’interdiction ne concernait que quelques rues du centre-ville mais petit à petit, le périmètre s’est étendu, jusqu’à recouvrir quasiment toute la ville."
Morgane, salariée du Secours catholique à franceinfo (...)
Une heure de marche pour un sandwich
Les migrants, en transit constant, peuvent encore compter sur l’accueil de jour du Secours catholique, situé au cœur de Calais. Ce local d’une centaine de mètres carrés, ouvert trois jours par semaine, leur permet de souffler, dans un endroit chaud et abrité.
Ce premier mercredi de décembre, ils sont plus de 600. "Certains ont fait plus d’une heure de marche pour venir ici", explique Clémence, qui distribue des sandwichs pain-mayonnaise proposés grâce aux invendus récupérés dans les boulangeries. Le stand ne désemplit pas. (...)
Deux jours avant, un migrant est arrivé en état d’hypothermie avancée. "Il était plié en deux sur sa chaise. On l’a mis à côté du chauffage, mais ça ne marchait pas. Un bénévole l’a pris chez lui pour quelques jours", relate Mariam, salariée au Secours catholique. Ils sont plusieurs "hébergeurs" de la sorte, à se porter volontaires pour pallier la saturation des dispositifs d’hébergement. (...)
Chaque migrant bénéficie de trois nuits maximum de prise en charge par le 115. Les Centres d’accueil et d’examen des situations (CAES) proposent aussi des hébergements temporaires, mais "les personnes que l’on accompagne − principalement des ’dublinées’ ou déboutées − ne rentrent pas nécessairement dans les critères d’éligibilité", constate Antoine. Surtout, ces deux centres sont situés à une centaine de kilomètres de Calais. Or la plupart des migrants ne veulent pas s’éloigner, car beaucoup essaient très régulièrement de rejoindre l’Angleterre. Certains tentent leur chance plusieurs fois par semaine. (...)
Le prêtre Philippe Demeestère, qui sort d’une grève de la faim pour alerter sur la situation catastrophique des migrants, témoigne de leur motivation. (...)
Un mineur soudanais de 16 ans et un autre jeune migrant sont ainsi morts en tentant leur chance, l’un après avoir chuté d’un camion en marche et l’autre, mortellement blessé dans une zone de stationnement des poids lourds. Ce dernier est la 305e "victime de la frontière" depuis 1999, selon les associations. Mais presque tous ici sont déterminés à partir. "C’est leur dernière échappatoire", souffle le prêtre de 72 ans.
J’arrive toujours pas à avaler que @GDarmanin ait dit ça. Il y a des limites au crime.
« Quand la police retire les tentes des réfugiés, elle n’agit donc pas de façon inhumaine ; au contraire, elle protège ces personnes. Quiconque s’est déjà rendu sur place en est convaincu. »
— Gaspard Glanz (@GaspardGlanz) December 15, 2021
Des pulls et des tentes pour @Utopia_56 🤝 https://t.co/FKndxy8m0b
— Manon (@ManonDufour) December 14, 2021