
La conséquence inéluctable du réchauffement climatique en cours est une élévation du niveau marin global. Cette dernière est évaluée par deux méthodes indépendantes mais complémentaires : l’altimétrie embarquée sur des satellites, et la marégraphie, en général opérée depuis la côte.
La première est générale et renseigne sur la presque totalité des océans. Elle donne directement le niveau absolu (par rapport au centre de la Terre), mais est relativement récente puisqu’elle date des années 1990. La deuxième méthode est celle des mesures marégraphiques qui sont locales, ne donnent le niveau absolu que si le marégraphe est positionné avec un récepteur GPS fixe de haute précision, mais offrent davantage de recul, puisqu’elles remontent sur plusieurs décennies et jusqu’à 300 ans. Ces mesures convergent vers une valeur très précise de + 3,2 mm/an en moyenne depuis les années 90.
Cette accélération de l’élévation du niveau marin n’est pas sans conséquence, puisque la moitié de la population humaine vit sur la bande côtière et qu’une grande partie est installée dans les zones littorales basses les plus vulnérables (estuaires, lagunes et deltas). Face à ce risque, dresser des digues a été depuis des décennies la principale façon de contrer ces effets.
Submersion et érosion des littoraux
Mécaniquement, l’élévation du niveau marin accentue deux aléas majeurs affectant les littoraux : la submersion et l’érosion. Les submersions marines sont déclenchées par des élévations brutales et locales, engendrées par les ouragans et les tsunamis. Elles peuvent atteindre plusieurs mètres par rapport au niveau normal et les inondations côtières qu’elles engendrent sont d’autant plus destructrices que le niveau global de la mer est haut.
Par comparaison avec les côtes rocheuses (80 % des côtes mondiales), les côtes sédimentaires (constituées de galets, graviers, sables et vases, mais aussi de débris de coquilles) sont à la fois les plus dynamiques et vulnérables à la montée de la mer, et concentrent les enjeux (...)
On y trouve les grands ports, de nombreuses infrastructures, des ressources agricoles et une forte concentration d’habitants. (...)
Ces zones littorales basses ont été protégées par des digues, depuis le Moyen-Âge pour les cas les plus anciens. À l’arrière de celles-ci, des marais s’étendent à un voire quelques mètres au-dessous des plus hautes marées (dans les marais poitevins, des terres agricoles sont localisées à deux à trois mètres sous le niveau des plus hautes mers). Il est nécessaire de comprendre la dynamique sédimentaire de ces régions pour expliquer cette situation surprenante.
Effet pervers des digues : elles aboutissent inexorablement à un dénivelé croissant entre la mer et la terre (...)
La situation actuelle est déjà périlleuse. Si la digue se rompt ou si elle est submergée par un ouragan ou un tsunami exceptionnel, l’inondation sera catastrophique. Dans les prochaines décennies, la situation ne peut donc qu’empirer.
Laisser la mer inonder des espaces littoraux bas
Les scénarios les plus récents prévoient à l’horizon 2100 une augmentation du niveau de la mer de + 43 centimètres (si on atteint la neutralité carbone) et de + 84 centimètres (dans un scénario « business as usual »), voire de + 110 centimètres dans le cas le plus pessimiste. En 2200, l’hypothèse la plus inquiétante dépasse les + 3 mètres ! Allons-nous continuer à élever les digues et à maintenir ainsi des régions à plusieurs mètres sous le niveau de la mer ? Pourrons-nous financer des défenses de côtes extrêmement onéreuses afin de protéger toutes les zones vulnérables ? (...)
Des solutions alternatives commencent à voir le jour. Il s’agit de valoriser la résilience naturelle des systèmes sédimentaires côtiers par rapport aux aléas, en s’inspirant de leur fonctionnement naturel.
Parmi ces solutions, on peut citer la dépoldérisation. Il s’agit de laisser la mer réinonder des espaces littoraux bas, soit en laissant ouverte une brèche occasionnée par une tempête, soit en créant artificiellement une ou plusieurs brèches. (...)
Ces zones inondables peuvent aussi servir de déversoir lors des tempêtes, crues exceptionnelles ou tsunamis et limiter les hauteurs d’eau maximales. La restauration de vastes zones humides littorales permettra d’augmenter la qualité des eaux, la biomasse et la biodiversité. Enfin, celle des zones côtières plus naturelles sera également synonyme de regain d’attractivité.
Quand bien même nous opérerons un changement radical des politiques énergétiques aboutissant à une neutralité carbone, nous devrons nous adapter à l’élévation du niveau des mers qui affectera fortement les littoraux. Des solutions alternatives aux défenses de côtes « en dur » existent.
Fondées sur la nature, elles laissent envisager la restauration de vastes espaces naturels résilients entre la mer et les sociétés qui permettraient d’amortir les conséquences de l’élévation du niveau de la mer, de lutter contre l’érosion de la biodiversité et d’accroître l’attractivité des littoraux.