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Reporterre
Contre Nestlé, la lutte s’organise à Vittel
Reporterre le racontait l’an dernier, la multinationale Nestlé Waters pompe depuis des années les eaux des nappes phréatiques à Vittel pour les embouteiller. Elle y possède une vaste réserve foncière et entretient la proximité avec diverses organisations locales qui comptent. Reporterre a poursuivi l’enquête. Voici le second de ses deux volets. Il suit « À Vittel, Nestlé contrôle l’eau, la politique et les esprits ».
Article mis en ligne le 10 mai 2019

Dans la région de Vittel, l’eau se fait rare. Nestlé Waters, soutenue par les élus, œuvre pour préserver son accès à la ressource. Malgré le poids du géant de l’agroalimentaire dans la vie locale, des habitants se mobilisent pour défendre leur propre accès à l’eau.

(...) Les sous-sols lorrains sont connus pour leurs nappes phréatiques étendues. Mais, « l’été dernier, la sécheresse a été telle que des pommiers ont perdu leurs fruits, et les prairies ressemblaient à des savanes, raconte Jean-Marie Chevrier, constructeur de la sculpture agricole. Nous avons eu des restrictions d’eau jusqu’en novembre et, ce printemps, les ruisseaux ont le débit qu’ils ont normalement au mois de juillet. » Pour cet ancien agriculteur, habitant de Valfroicourt, il y a donc « urgence à ne pas dilapider la ressource ». (...)

C’est ainsi qu’il y a deux ans, M. Chevrier a découvert avec inquiétude que ses voisins de Vittel, à une quinzaine de kilomètres, manquaient d’eau. La nappe dans laquelle ils s’abreuvent, nommée « aquifère des grès du Trias inférieur », s’épuise peu à peu, au rythme d’un million de mètres cubes en moins par an [Voir encadré]. A qui la faute ? Outre les quelque 12.000 habitants de Vittel, Contrexéville et Bulgnéville, Nestlé Waters pompe chaque année plus de 750.000 m3 d’eau par an, soit 750 millions de litres, embouteillés sous l’étiquette « Vittel Bonne Source » et exportés à l’étranger. Pour remédier au problème, plutôt que d’exiger de la multinationale qu’elle réduise ses prélèvements, élus et industriels envisagent ni plus ni moins d’aller chercher de l’eau ailleurs pour les habitants. Bientôt, à Vittel, l’eau des robinets ne proviendra peut-être plus du sous-sol, mais sera acheminée par pipeline depuis… Valfroicourt. C’est ce qu’on appelle joliment la « substitution ». (...)

À Bainville-aux-Saules, village voisin de Valfroicourt, le maire ne décolère pas : « Quand on n’a pas de blé, on ne va pas faucher le champ du voisin », dit Gérald Noël, également agriculteur. Lui aussi craint qu’on ne déshabille Pierre pour rhabiller Paul. « Tous les étés depuis 4 ans, il y a des arrêtés préfectoraux plaçant le secteur en restriction d’eau, insiste-t-il. C’est bien qu’il n’y a pas assez de flotte ! » Autre inquiétude pour l’élu : les nouveaux forages prévus en profondeur pour abreuver Vittel pourraient venir ensabler le puits desservant Bainville, Valfroicourt et 22 autres communes alentour. (...)

Avec d’autres, il a créé un collectif d’élus, qui regroupe désormais une vingtaine de maires, afin de « relayer les inquiétudes de la population locale quant à son approvisionnement en eau à moyen terme », selon leur propre présentation. « La loi sur l’eau de 2006 est claire à ce sujet : la priorité d’usage des ressources doit aller aux habitants ; les besoins de l’industrie pour le commerce n’arrivent qu’en quatrième place, poursuit M. Noël. Donc s’il n’y a pas assez d’eau à Vittel pour commercialiser de l’eau en bouteille, on arrête de commercialiser. » Près de soixante communes ont pris des délibérations pour « s’opposer au transfert » d’eau. (...)

Un sacré caillou dans la chaussure de la commission locale de l’eau (CLE) ! La CLE réunit 45 membres — élus, associatifs, industriels, services de l’État — avec l’objectif de remédier au déficit chronique de la nappe GTI. C’est cette institution qui a décidé de privilégier le scénario de « substitution » en juillet 2018, adopté par une écrasante majorité des participants. Cette solution semble ainsi convenir à Nestlé, qui s’est d’ailleurs engagée à financer une partie des investissements nécessaires, mais également à un certain nombre de municipalités, dont celle de Vittel. (...)

Difficile ainsi d’être opposant dans un territoire noyauté depuis plusieurs décennies par l’industrie de l’eau. « Lors d’une réunion au conseil départemental, on nous a traité d’irresponsables, parce qu’on mettrait en péril une manne financière et économique essentielle et qu’on ternirait l’image du département, dit M. Noël. Tout ça a failli mal finir. » (...)

Face à ce mur, les militants ont déployé un éventail de stratégies, dont les bottes de paille sont la partie la plus visible. Dans un courrier envoyé début mars, six associations ont exigé du préfet des Vosges l’abrogation des arrêtés autorisant Nestlé à prélever un million de mètres cubes d’eau par an dans la nappe GTI. « Si nous n’obtenons pas satisfaction, nous attaquerons au tribunal », précise Jean-François Fleck, président de Vosges Nature Environnement. Le collectif Eau 88 a par ailleurs multiplié les réunions publiques, les pétitions et les courriers. (...)

En février, ils ont invité à Vittel des membres des Wellington Water Watchers, une ONG canadienne active en Ontario contre l’implantation de Nestlé Waters, ainsi que le brésilien Franklin Frederick, qui s’est battu pendant des années contre la surexploitation d’une nappe phréatique par Nestlé à São Lourenço, dans l’état du Minas Gerais.

"Pour se battre contre une multinationale, il faut une résistance internationale."