
Sept mois après l’entrée en fonction de Jair Bolsonaro, les personnes LGBT+ dénoncent une homophobie d’État et s’inquiètent de leur avenir.
(...) En ce début de juillet 2019, Fischer inaugure à São Paulo son Centro Cultural da Diversidade (un nouveau centre culturel de la diversité). (...)
Ce nouveau lieu municipal sera entièrement dédié aux questions et aux personnes LGBT+.
Si le gouvernement fédéral de Bolsonaro a coupé toutes les subventions aux associations LGBT+ et si l’État de São Paulo est lui-même très conservateur, la ville, en réaction, accroît ses subventions aux minorités de genre. Ainsi, c’est Ale Youssef, l’adjoint à la culture qui soutient le projet de Centro Cultural da Diversidade. Les subventions coupées par les uns sont réintroduites par les autres. Ainsi va le Brésil de Bolsonaro qui n’est pas à un paradoxe près. (...)
Comme les indigènes, les Noir·es, les migrant·es et les femmes, la communauté LGBT+ est révoltée depuis des mois par le discours officiellement homophobe, misogyne et raciste du nouveau président Jair Bolsonaro.
Le leader aussi charismatique qu’évangélique n’avait-il pas déclaré dès 2002 : « Je ne vais pas combattre ni même discriminer, mais si je croise deux hommes qui s’embrassent dans la rue, je frapperai » ? Il récidive en 2010, dans un débat télévisé, où il se dit favorable à des « punitions physiques » comme « cure » pour les homosexuel·les. Et, en 2011, dans une interview à Playboy, il déclare : « Je serais incapable d’aimer mon enfant s’il était homosexuel. Je préfèrerais que mon fils meure d’un accident plutôt que de voir une moustache près de lui. »
Depuis son entrée en fonction, en janvier dernier, Bolsonaro a eu tendance à polir son langage et à modérer ses discours, même s’il a encore fait des remarques désobligeantes sur les communautés indigènes, sur les femmes, sur les Noir·es et sur les questions de genre. Ses ministres ont également accumulé les attaques contre les minorités. Les subventions publiques fédérales en faveur des associations LGBT+ ou contre le sida ont été coupées.
Le ministre de l’Éducation, Ricardo Vélez Rodríguez, un Colombien naturalisé et théologien conservateur d’extrême droite, a multiplié les dérapages en voulant réhabiliter la dictature dans les manuels d’histoire (il a finalement été limogé en avril). Le ministère de la Culture qui subventionnait festival et salons LGBT+ a été dissous. Damares Alves, une pasteure évangélique et la nouvelle ministre de la Femme, de la Famille et des Droits de l’Homme au Brésil a, pour sa part, déclaré que « les garçons [devraient s’habiller] en bleu, les filles en rose », suscitant une vague de critiques et de vidéos parodiques.
Le plus frappant dans la situation actuelle réside dans l’hypocrisie de Bolsonaro. À 64 ans, ce Trump tropical se présente comme un défenseur viscéral de la famille (il a proposé de « restaurer la famille traditionnelle et combattre l’idéologie de genre » dans son discours d’inauguration) alors que sa famille est elle-même recomposée et qu’il a été marié trois fois. Il se veut un parangon de vertu et le modèle de la lutte contre la corruption alors que ses propres fils font actuellement l’objet d’enquêtes sur de possibles irrégularités financières. Cet autocrate militaire macho est enfin particulièrement misogyne, comme l’attestent, par exemple, ses propos insultants contre l’une de ses rivales politiques, Maria do Rosário qui « ne valait même pas la peine d’être violée ». (...)
Ces discours délirants inquiètent les minorités. Mais paradoxalement, et pour l’instant, la vie gay dans les grandes villes brésiliennes semble plus libre que jamais. (...)
La récente Gay Pride de São Paulo fut, en juin, l’une des plus importantes de l’histoire (...)
De même, les télévisions privées, et en tout premier lieu celles du géant TV Globo, multiplent les télénovelas avec des intrigues et des personnages LGBT+. (...)
Plus important encore : la Cour suprême du Brésil a réaffirmé, à rebours des intentions du nouveau président, sa volonté de défendre les droits des minorités et des personnes LGBT+.
Paradoxalement, le nouveau discours public homophobe au Brésil a eu tendance à inciter la communauté LGBT+ à se replier, pour des raisons de sécurité, sur les gayborhoods – les quartiers gays des grandes villes. (...)
En dépit de cette vie pacifiée dans les grandes villes, André Fischer n’est pas très optimiste. « Jusqu’à maintenant, sur les questions de diversité, on avait l’impression d’avancer dans la bonne direction ; ce mouvement progressiste a été stoppé net. Les gens risquent de retourner dans le placard. » S’il reconnaît que les droits LGBT+ restent solides au Brésil (il ironise même sur le fait que nous n’ayons pas encore la PMA et la GPA en France, instaurées de longue date dans son pays), Fischer se montre inquiet pour l’avenir.
« Le bon côté des choses, c’est que les personnes LGBT+ sont plus politisées qu’avant. Les gens ont compris la menace. En même temps, nous ne sommes encore qu’au début du mandat de Bolsonaro. Tout peut changer très vite dans ce pays », insiste Fischer.
L’inquiétude de beaucoup d’activistes LGBT+ concerne la justice brésilienne. En effet, le mariage a été autorisé en 2013 par la Cour suprême. Or, ce que la justice a fait, elle peut le défaire. Jair Bolsonaro a cherché à transformer la composition de la Cour en doublant le nombre de ses membres (de 11 à 25). Devant l’échec, le nouveau président a cherché à modifier l’âge des juges. Nouveau rejet. Pour l’instant, le Parlement ne lui a pas donné la possibilité de mener à bien sa réforme. Pour l’instant...
Une personne LGBT+ assassinée chaque jour
L’autre inquiétude des activistes LGBT+ concerne la montée de la violence. (...)
Les associations estiment que les crimes homophobes sont massifs : entre 2012 et 2016, elles considèrent que plus de 1.600 personnes LGBT+ ont été tuées en raison de leur sexualité, soit un crime anti-gay commis en moyenne par jour au Brésil. D’autres statistiques plus récentes font état de 450 morts pour la seule année 2017 –un chiffre qui reste énorme : plus d’un meurtre LGBT+ chaque jour. (...)
Dans ce contexte déjà violent, les activistes sont convaincu·es que les discours homophobes de Jair Bolsonaro vont contribuer à un déchaînement d’homophobie, en particulier dans les villes moyennes et dans les favelas, loin des quartiers gays les plus urbains et les plus bobos. Leurs craintes : non pas tant l’adoption de lois homophobes que la multiplication de crimes anti-gays spontanés, qui auraient été encouragés ou du moins légitimés par la violence verbale du président.
C’est du moins ce qu’argumentent, en s’appuyant sur les données les plus récentes, le Grupo Gay da Bahia, une ONG brésilienne qui recense les crimes contre les LGBT+.
L’étrange apparition des gays et lesbiennes pro-Bolsonaro
La situation des droits LGBT+ s’est également complexifiée depuis l’arrivée de Bolsonaro. Si les évangéliques qui soutiennent le nouveau président sont généralement anti-gays, il existe malgré tout des pasteurs protestants ouvertement gays et des églises gay-friendly.
De même, l’Église catholique, traditionnellement conservatrice, évolue au Brésil sous la pression du courant de la théologie de la libération. Hier, les principaux théologiens de cette doctrine –tels Leonardo Boff ou Frei Betto– étaient d’obédience marxiste ; aujourd’hui, ils ont basculé en faveur des questions environnementales et des questions de genre. Lorsque je rencontre Boff et Betto, ils se montrent très favorables aux problématiques de la diversité, tout comme un capucin de Porto Alegre, Luis Carlos Susin. De son côté, le jésuite Luis Correa Lima organise à Rio, comme je le constate, des « pastorales de la diversité » qui sont des espaces de réflexion et de liberté autour des questions de la sexualité. (...)
À rebours de cette évolution pro-LGBT+, un autre phénomène est troublant : l’apparition des gays et lesbiennes pro-Bolsonaro. (...)
Pour ces personnes à la fois LGBT+ et pro-Bolsonaro, le besoin de sécurité et d’ordre primerait sur l’orientation sexuelle. « Ils acceptent de rentrer à nouveau dans le placard en échange de plus de sécurité. Bolsonaro est tout à fait compatible avec l’homophobie internalisée de beaucoup de gays », me disait alors Fischer.
Ce phénomène paradoxal, initialement constaté par certains sondages réalisés à partir des applications web spécialisées, a été confirmé dans les urnes. (...)
À tout le moins, ce vote paradoxal d’une communauté gay et lesbienne en tension qui vote pour Bolsonaro confirme, s’il en était besoin, la gravité de la situation sécuritaire et l’ampleur de la pauvreté du pays. Les personnes LGBT+ sont finalement des Brésiliennes et des Brésiliens comme les autres.