
On pourrait croire que les plateformes comme Twitter collaborent facilement avec la justice française… Il n’en est rien.
« Quels que soient vos agissements sur les réseaux, vous laissez toujours des traces ; techniquement et aux yeux de la loi, l’anonymat n’existe pas ». Ces sages paroles sont celles du capitaine Matthieu Audibert, chef du département partenariats et coopération au sein du commandement de la gendarmerie dans le cyberespace qui lors de l’évènement Médias en Seine, décrivait les coulisses de la chasse aux trolls sur les réseaux sociaux. (...)
Aujourd’hui, il est effectivement difficile de rester totalement incognito au sein d’un groupe sur les réseaux. Mais ça n’a pas toujours été le cas. Pendant longtemps, les affaires de cyberharcèlement en meute ont eu du mal à être prises au sérieux par la justice. Il aura fallu attendre 2017 et l’affaire Nadia Daam, cette journaliste qui a subi un harcèlement lancé par des membres du forum « blabla 18-25 » du site jeuxvideo.com, pour que ce délit soit véritablement reconnu par la loi. Avec la loi Schiappa de 2018, les attaques en meute à l’encontre d’un individu sont reconnues, même si ces dernières ne sont pas coordonnées. Concrètement, tous les individus participant à un lynchage virtuel sont considérés comme responsables.
« Twitter est un monstre »
Pour Éric Morain, avocat au barreau de Paris, l’arsenal juridique est largement suffisant pour gérer ce genre d’affaires. Ce qui manque surtout, c’est la collaboration des plateformes pour traquer et amener devant la justice les internautes qui se sont rendus responsables de cyberharcèlement. « Avec Facebook ça va encore, il y a de plus en plus de collaboration, raconte-t-il lors de la conférence. Mais le mauvais élève de la classe reste surtout Twitter qui est un monstre avec sa propre loi. Quand on leur demande l’identité d’un internaute sous pseudo, la réponse est lente et bien souvent inexistante ». Les intervenants soulignent que dans l’affaire Mila, le décalage entre le nombre de comparutions (moins d’une quinzaine) et les 50 000 messages de haine qu’elle a reçus montre à quel point Twitter peut entraver la justice. (...)
Pour Matthieu Audibert, le problème vient surtout du sentiment d’impunité des plateformes américaines, mais aussi de la lenteur des procédures légales. (...)
Le réseau social peut prétexter que les accusés sont protégés par le premier amendement de la constitution à savoir la liberté d’expression. En cas de refus, nous devons mettre en œuvre une demande de coopération internationale qui passe par la justice Française puis la justice américaine. C’est un circuit très long qui peut demander plusieurs mois d’attente. »
Arrêter le sentiment d’impunité
Heureusement pour la justice française, d’autres voix sont possibles. La législation européenne évolue pour contraindre un peu plus les grandes plateformes à collaborer. En attendant, Éric Morain et Matthieu Audibert confient utiliser des méthodes alternatives pour identifier des auteurs de harcèlement, semblables à « des enquêtes de voisinage », qui donne de bons résultats. Dans l’affaire Mila, 11 personnes sur 13 (10 hommes et une femme) ont été condamnées en première instance à des peines allant de quatre à six mois de prison avec sursis.
Cette décision de justice avait surtout pour but de mettre fin au sentiment d’impunité. (...)
Mais est-ce pour autant suffisant ? Pour Matthieu Audibert, il faut à tout prix envisager une action d’éducation et de sensibilisation du public aux cyberharcèlements pour voir enfin les mentalités bouger. D’ici là, ça sera toujours la loi de la meute qui sera la plus rapide, à défaut d’être la plus forte.