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Comme en Mai 68, tout est prêt pour un élan collectif, vital et nécessaire
Mai 68 est devant nous — L’actualité toujours brûlante des écrits de Mai, de Jacques Brissaud, Frédéric Pagès, Olivier De la Soujeole, éditions Yves Michel, Yves Michel, 224 p., 12 euros.
Article mis en ligne le 16 juillet 2020
dernière modification le 15 juillet 2020

Mai 68, Gilets jaunes, coronavirus, mort de George Floyd… Autant de « convulsions » car la planète est aujourd’hui « au bord de la crise de nerfs », écrivent les auteurs de cette tribune. Qui ajoutent : « La dynamique qui s’est enclenchée en 68 doit, enfin, accoucher des ruptures effectives, entraperçues à l’époque, devenues vitales aujourd’hui ».

« Je ne peux pas respirer… » Qui parle ? George Floyd ? [1] La planète ? Ces peuples pris dans l’étau et qui tournent dans « l’essoreuse à vies » ?... Nous-mêmes, menacés chaque jour par cette espèce de harcèlement existentiel qui nous incite à avancer en constant déséquilibre à la superficie des choses tandis que le discours dominant orchestre cette course ?

Aujourd’hui, qu’est-ce qui serait, qu’est-ce qui est révolutionnaire ? Ralentir… s’arrêter. Pour voir. Discerner. Écouter.

Ce qui relie, entre autres choses, Mai 68 et le moment singulier que nous venons de traverser, c’est, outre le caractère imprévisible de ces événements, cet arrêt ou ce quasi arrêt de l’agitation sociale et de l’affairement… et ce qui surgit, ce qui affleure à la faveur de cette pause.

Plus grave que la mort, la vie vaine, l’existence sans sens (...)

En 2018, pour baptiser notre livre des 50 ans, nous avons proposé ce titre qui peut sonner comme un mot d’ordre : Mai 68 est devant nous.

Sur le moment, les commémorations officielles ont empêché d’apercevoir ce que l’élan collectif et créatif, vital et nécessaire qui s’est manifesté il y a un demi-siècle pouvait avoir d’inspirant et d’opérant dans la période que nous traversons.

Mais, significativement, juste après cet « anniversaire » et puis maintenant, plusieurs épisodes intenses sont venus rappeler avec force ce que la transgression inspirée de 68 pouvait contenir de prophétique. En France, ce fut d’abord l’insurrection des Gilets jaunes, avec la mise en évidence de la précarisation perverse d’un nombre grandissant de travailleurs dans un monde riche. Aujourd’hui, mondialement, c’est la pandémie du coronavirus avec son post-scriptum : les émeutes et mouvements qui ont suivi le meurtre en direct de George Floyd par un policier à Minneapolis. En attendant d’autres convulsions car la planète est aujourd’hui « au bord de la crise de nerfs », et la moindre étincelle peut mettre le feu aux poudres. « Mai 68 est devant nous » : nous ne pensions pas que les événements allaient nous donner raison si vite. (...)

Parvenir vite, et internationalement, à des prises de conscience (...)

Mai 68 a inauguré un nouveau cycle de révolutions dans l’histoire de l’humanité. Il ne s’agit plus tant, prioritairement, d’affrontements pour le contrôle militaire du pouvoir central, mais d’abord d’un réveil contagieux et d’une insurrection des consciences. En ce sens, par exemple, le genou à terre de certains policiers américains est un geste proprement révolutionnaire.

Et maintenant ? Après ces trois mois d’entracte et alors que la pandémie est loin d’être maîtrisée, nos sociétés vont-elles s’appauvrir de ce que cet épisode aura affaibli ou détruit et va détruire encore, notamment par le jeu des faillites en cascade, ou bien vont-elles s’enrichir de ce que ce moment va permettre d’impulser en matière de changements profonds, salutaires, inéluctables ? Tout l’enjeu aujourd’hui est de parvenir rapidement, et internationalement, à des traductions concrètes encore plus effectives des prises de conscience qui se sont fait jour, dans les domaines écologiques, sociaux, économiques, éducatifs… pour inaugurer des logiques différentes, de nouvelles convivialités, des synergies inédites.
Identifier ce qui empêche les mutations indispensables (...)

La révolution dont il s’agit « n’est pas un projet. Elle est une dynamique propre qui s’impose d’elle-même, un mouvement créant sa propre idéologie et ses modes d’action » [2], fabricant ses outils et ses instruments à mesure des nécessités, comme en temps de crise aiguë. Et nous sommes en crise aiguë… Bien entendu, ce mode opératoire requiert compétence, honnêteté et lucidité, à commencer par la lucidité sur soi-même. (...)

Nous voici au pied du mur. Et la « fenêtre de tir » n’a jamais été plus favorable qu’il y a un demi-siècle. La dynamique qui s’est enclenchée en 68 doit maintenant, enfin, accoucher des ruptures effectives, entraperçues à l’époque, devenues vitales aujourd’hui. Pas par une révolution autoritaire, mais par la lame de fond d’une mutation profonde et solidaire, l’invention d’une autre façon de faire société, délivrée de ce harcèlement d’un jeu économique devenu fou qui mène, précisément, à l’asphyxie.

À Paris, New-York, Rome, Londres, Sydney, São Paulo… jeunes et moins jeunes défilent en pleine pandémie en scandant un « I can’t breathe » qu’on peut entendre de diverses manières. Par une synchronicité très significative, le destin tragique d’un homme discriminé figure la problématique de notre planète oppressée. Aspirations et énergies doivent maintenant converger afin que le genre humain trouve un nouveau souffle.