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Claire Marin : « Être soi est toujours un travail. On ne se vit pas soi-même dans la facilité »
Article mis en ligne le 17 mars 2022
dernière modification le 16 mars 2022

Invitée du mk2 Institut, la philosophe Claire Marin publie aux Éditions de l’Observatoire « Être à sa place », un nouvel essai sur un sujet qui traverse nos vies : la question de notre place dans un monde qui tangue et ne cesse de nous déplacer.

Que signifie « être à sa place » ?

L’expression renvoie à deux notions. La première serait un état psychologique d’équilibre et de plénitude, qui reste avant tout un idéal conditionnel. La seconde renvoie à l’idée de trouver sa place parmi les autres et de faire de la place aux autres. Ce n’est plus une problématique uniquement personnelle. Et là repose la difficulté : être à sa place demande de conjuguer ses désirs avec ceux des autres, d’affirmer sa singularité et de s’insérer dans la société. (...)

Il correspond souvent à une représentation idéalisée d’un sentiment de sécurité et de confort éprouvé durant l’enfance. Il est une sorte de réminiscence archaïque d’un moment fusionnel. C’est aussi une construction culturelle. (...)

Mais la réalité est qu’il faut un effort constant pour essayer de vivre de manière unifiée. Biologiquement d’une part, parce que nous sommes des êtres vivants, que nous ne cessons de nous détruire et de nous reconstituer. Socialement d’autre part, car être soi est toujours un travail, une activité. On ne se vit pas soi-même dans la facilité. (...)

Que cherche-t-on lorsque l’on souhaite « être à sa place » ?

On affirme sa singularité, sa valeur, on cherche la reconnaissance. Mais le prix à payer pour cette conquête, qu’elle soit sociale, géographique, affective, peut être la perte, une perte nécessaire dans un processus qui nous déplace. On peut perdre des liens, trahir, se montrer déloyal – rompre avec quelqu’un, changer de pays, ne pas être compris par ses amis ou sa famille, comme c’est le cas des transclasses par exemple. Je crois qu’il nous faut accepter qu’en réalité nos places sont toujours remises en jeu. Pour garder chacune d’elles, nous devons maintenir une activité, ne pas tomber dans l’illusion selon laquelle elles sont nécessairement acquises ou confortables. Et ce même quand nous avons beaucoup œuvré pour les conquérir. (...)

à la différence de la place, plutôt définie par des éléments objectifs (un métier, une situation conjugale, etc.), l’ancrage, plus personnel, est une sorte de place en soi. Trouver cet ancrage, c’est identifier des activités, des manières d’être, des liens fondamentaux qui nous permettent de nous relier au monde et sans lesquels nous nous sentons flottants ou déséquilibrés. Annie Ernaux en parle lorsqu’elle évoque l’écriture comme la création d’un vrai lieu. Il s’agit de trouver ses vraies dimensions, son lieu, et c’est une question à laquelle on ne peut pas répondre pour les autres (...)

« être à sa place » est avant tout une expérience physique. Prenez le simple exemple de la voix : je suis à ma place quand celle-ci est posée, non étouffée par les voix dominantes. Cela peut commencer par cette libération d’une voix propre, une voix qui dit aussi une subjectivité sur le monde. (...)