
Mardi 17 août, à Mayotte, des agents de la police municipale marquent les habitations d’un « bidonville ». Se prépare ainsi la destruction du dixième quartier en dix mois. Sans une politique du logement social, l’éradication de l’habitat indigne met à la rue des milliers d’habitants les plus pauvres de l’île. Maître d’œuvre des catastrophes, l’État français dérègle sans répit la société mahoraise.
A Mayotte, l’État s’en donne à cœur joie. Poursuivant son œuvre noire au mépris des principes humanitaires les plus élémentaires et de ses obligations de protection de la société civile, il accable de maux les populations les plus pauvres de l’île sans relâche dans l’intention évidente de les terrasser.
Son administration, exclusive ou principale, consiste à débusquer l’étranger (clandestin ou non) sous chaque indigène de mauvaise mine et à priver de gîte tout occupant d’un réduit indigne d’une France honteuse de ses pauvres.[1]
Ainsi mardi 17 août 2021, des agents de la police municipale se sont présentés dans un quartier de logements en tôle aux abords du village de Koungou, et entreprirent de marquer chaque habitation à la peinture vert fluo pour les désigner aux engins destructeurs. Sont dorénavant ornés d’un chiffre cible 186 logements. (...)
Les habitants disposaient d’un « délai maximum d’un mois et huit jours, à compter de la notification du présent arrêté » pour vider les lieux. Deux mois sont à présent passés inoculant une inquiétude pernicieuse dans les esprits. Aucune date n’est avancée. Sur place, il est impossible de rencontrer une seule famille qui ait été officiellement informée par la remise d’un document qui lui permettrait d’envisager un recours devant la justice. Personne n’entrevoit de solution, sauf à s’installer aux abords d’un quartier similaire le moins éloigné possible, de peur de se couper d’un réseau de relations vitales et d’éloigner les enfants de leur école. Donc la grande majorité repousse le déplacement jusqu’au signe ultime d’une résolution inexorable tant pareille cruauté dépasse l’entendement.
Personne n’arrive à y croire. Pourtant la menace se précise. (...)
le 19 juillet, aux aurores, les agents de la police aux frontières ont effectué un contrôle de papiers. Le 10 août, ils ont été aperçus à nouveau aux mêmes heures matinales. (...)
Malgré son appartenance au territoire national et son statut de département, l’île de Mayotte est soumise à un droit dérogatoire (!) et à un déni de droit permanent dans les pratiques administratives (...)
D’emblée, le baromètre est introduit par un exergue faussement sentimental et pernicieux : « Détruire des bidonvilles n’est pas humainement facile à faire. Cela demande du courage. Mais c’est une décision fondée par le droit, c’est une demande forte de la population mahoraise, c’est une exigence de sécurité publique. Il n’y aura donc plus de zone de non-droit à Mayotte ».
Faut-il décortiquer cette confidence fallacieuse et honteuse ? De telles opérations sont humainement inacceptables et illégales. S’en féliciter en invoquant du courage, quelle supercherie ! Envoyer ses troupes pour commettre des actes de guerre contre une population civile dénote au contraire vilénie et indignité. Dissoudre sa mauvaise conscience dans une question de « droit », toujours bafoué ; dans une volonté supposée « de la population mahoraise », sans cesse méprisée ; dans des impératifs de « sécurité publique », invariablement chimériques, ne parviendra pas à dissimuler la cruauté et la barbarie d’un État contre sa population.
Le préfet lui-même reconnait agir selon son bon plaisir. En encadré sur fond rouge, il rappelle ses objectifs « pour le premier semestre 2021 : destruction de 400 cases en tôle » et sa réalisation fin mai : « plus de 700 cases détruites depuis le premier janvier 2021 ». Ainsi dans sa présomption, il déclare avoir détruit les 300 logements excédentaires hors de tout cadre légal, car non prévus par ses arrêtés contre des habitants non avertis (...)
Dans le texte qui suit, une mère de famille habitant le quartier Carabole, exprime son désarroi face à la démolition des maisons. L’absence de ressources lui interdit d’espérer d’autres logements que ce type d’habitation en tôle dans des quartiers pauvres où se rassemblent des gens de sa condition, éloignés de l’emploi et des aides de l’État, quelle que soit leur nationalité. Elle a un titre de séjour renouvelable chaque année au coût actuel de 265 €.
Parmi ses sept enfants, les trois aînés sont majeurs et titulaires d’un titre de séjour annuel. Ils poursuivent des études supérieures, l’un en métropole, les deux autres, un garçon et une fille, à Mayotte. Les quatre plus jeunes sont français par leur père et sont scolarisés en collège et à l’école communale. Outre ses propres enfants, la maman élève un jeune neveu, venu à Mayotte pour des raisons de santé.
Une famille semblable à toutes les familles françaises, qui se débouille avec ses petits moyens, et dans l’adversité permanente, pour offrir le meilleur à ses enfants.
Sa fille aînée qui assure la traduction, intervient à titre personnel dans la discussion. Merci à elle, pour sa contribution à ce texte. (...)
« Du coup voilà. J’ai vraiment mal au cœur car c’est bientôt la rentrée des classes et je ne sais pas du tout comment ça va se passer. Il faut que les enfants aillent à l’école. Il faut acheter les fournitures scolaires. On ne peut pas. Je ne vois pas devant. Je ne peux pas acheter les cahiers puisque je ne sais pas où je serai demain avec mes enfants. On ne peut qu’attendre. J’ai très mal au cœur, mais je connais beaucoup de personnes qui sont dans le même cas que nous. Et tout le monde est là, sans savoir que faire ». (...)