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Christophe Béchu et l’argent public : arrosage suspect à Angers
Article mis en ligne le 20 juillet 2022

De 2004 à 2010, le nouveau ministre de la Transition écologique a piloté à Angers le lancement de Terra Botanica. Cinq ans plus tard, au bord de la faillite, ce parc à thème présenté comme une vitrine d’excellence est sévèrement épinglé par la Cour des comptes : le département, dont Béchu était le président, a payé plus de 3 millions d’euros des travaux enfreignant les règles des marchés publics. Malgré le dépôt d’une plainte - soutenue par la procureure générale du tribunal d’Angers -, l’affaire n’a jamais été instruite. Nos révélations.

La transition est en route. Elle fait déjà des miracles : par la grâce de l’arrivée au gouvernement de son maire Christophe Béchu - transfuge LR, rallié à la macronie via le sas Horizons -, Angers est devenue la nouvelle destination eco-friendly du moment. Depuis, médias et internautes scrutent à la loupe les accomplissements de la première « ville verte » française. Si certains voient dans cette nomination une supercherie (l’élu de Maine-et-Loire n’a jamais brillé par ses positions et ses élans écolo), d’autres ne sont pas avares en flatteries.

Le 5 juillet, lendemain de l’annonce de la composition du nouveau gouvernement Borne, Le Point publie ainsi un article au titre explicite : « Terra Botanica : le pari réussi de Christophe Béchu ». Cet éloge fait référence au parc du végétal angevin réalisé sous la présidence à la tête du département de Maine-et-Loire du numéro deux du parti d’Edouard Philippe.
Deux lectures, au parc

Déterminé à encenser le « bilan flatteur » du « petit bonhomme déjà vert », le journaliste de l’hebdomadaire de François Pinault balaie d’un revers de main les « quelques rappels à l’ordre [de] la chambre régionale des comptes en 2015 puis [de] la Cour des comptes l’année suivante ». Après tout, cette paperasse émise au sujet de la construction du parc, c’est de l’histoire ancienne. Et Christophe Béchu - c’est l’essentiel - « a su remporter son pari ». Le newshebdo le rappelle : « plus de 300 000 visiteurs se pressent en moyenne chaque année à l’entrée du site pour y admirer, sur 22 hectares, un demi-million de végétaux du monde entier ».

Coïncidence, au moment où sort cet article, Blast mène une enquête sur les conditions de réalisation et de financement de Terra Botanica. Les deux rapports (de la chambre régionale des Pays de la Loire, puis de la Cour des comptes), nous les avons lus. Nos conclusions, rejoignant celles depuis des années de la presse locale, sont nettement moins reluisantes. (...)

Un parc de malfaçons (...)

La Sodemel dresse un constat ahurissant : à la livraison du chantier, 1117 réserves (!) relatives aux différents marchés ont été identifiées. « Tout n’était pas fini, il y avait des malfaçons, des erreurs de conception », se souvient Jean-Pierre Chavassieux. Le président de la SAEML Terra Botanica de l’époque l’affirme aujourd’hui : « on aurait dû, pour le jardinier que je suis, attendre un an de plus ». Mais le temps presse, alors le parc ouvre.
3,1 millions de factures indues

Pour corriger ces erreurs, les entreprises titulaires des marchés redoublent d’efforts - intervenant en dehors des horaires d’ouverture, en soirée ou de nuit, et à l’automne 2010, la saison achevée et le parc fermé. En 2015, actant « [qu’]aucun contentieux n’a été engagé », la chambre régionale des comptes conclut dans son rapport sur la Sodemel que cela « permet de penser que les attentes du propriétaire ont été satisfaites et que la réalisation correspondait au cahier des charges ». Pourtant, en 2012 et en 2013, la Sodemel a procédé à quatre autres versements au bénéfice de la SAEML Terra Botanica pour financer de nouveaux travaux. La somme totale de 3,1 millions d’euros en jeu est le principal point épineux soulevé par les rapports de la Cour des comptes et de son antenne régionale.

Deux des quatre factures acquittées par la Sodemel – de 405 000 euros et 440 000 euros ¬– sont justifiées par des dépenses engagées par le site. Justifiées... donc légitimes ? Les rapporteurs de la chambre notent que l’objet de la plupart des paiements « relève clairement de charges d’exploitation qui ne sont pas à la charge du propriétaire et qui ne relèvent pas du mandat de la Sodemel ». D’autres dépenses correspondent encore à des achats d’équipement. Elles auraient pu être cette fois à la charge du propriétaire si les règles de la commande publique avaient été respectées. Problème, aucune procédure d’appel d’offre n’a été lancée en amont… (...)

Béchu, indigné à bon compte

Pour démêler cette situation opaque, un administrateur de la Sodemel a bien tenté d’obtenir des explications du double président du département et de la société d’économie mixte mandatée par la collectivité, Christophe Béchu. Dans un échange de courriers datés de février 2014, communiqués à Blast, il demande à plusieurs reprises le détail des prestations facturées par la SAEML Terra Botanica à la Sodemel - alors que le parc, rappelons-le, est déjà livré et a ouvert ses portes. L’indélicat se voit opposer un refus catégorique : le patron du Maine-et-Loire assume pleinement ces versements, qu’il juge conformes à la convention passée entre le département et la Sodemel. Mais il exclut de fournir le moindre justificatif à son administrateur... (...)

« Je ne comprends toujours pas que vous puissiez insinuer et écrire que la SEM Terra Botanica aurait pu facturer quoi que ce soit à la Sodemel sur son compte d’exploitation », écrit encore Christophe Béchu, indigné d’une telle indignation. Raté : l’année suivante, la chambre régionale des comptes prouve que c’était précisément le cas.

Contacté par le même administrateur, le directeur général de la Sodemel (devenue Alter Cités) est alors sur la même longueur d’ondes. Là encore, le message est clair : circulez, il n’y a rien à voir. Dans un courrier du 11 mars 2014, Michel Ballarini assure que les travaux étaient « bien sûr prévus dans le bilan financier que la collectivité lui a délégué, et qu’elle a remboursés à la SEM Terra Botanica ».

Forcément, quand les rapports de la chambre tombent en 2015, l’effet est désastreux. La version du duo à la tête de la Sodemel est remise en cause (...)

Des justificatifs volatilisés

Le constat posé, restent des questions. Qui était donc au courant ? (...)

les rapporteurs de la chambre attribuent la responsabilité de ces versements occultes au département, donc à son président Christophe Béchu. Depuis ces virements illégaux, dix ans se sont écoulés. Et personne dans cette affaire n’a été inquiété.
Silence du procureur

Pourtant, la justice a bel et bien été tenue au courant. (...)

« Défaut de marché public, suspicions de favoritisme, ça peut coûter cher à un élu, constate Antony Taillefait. On peut tomber dans le pénal dans cette affaire-là, c’est pour ça qu’il aurait fallu une enquête préliminaire du procureur ».
Limiter la casse

Cette histoire de factures et de règlements occultes n’arrive pas par hasard. Quelques années après son ouverture, force est de constater que les résultats du parc Terra Botanica sont mauvais. (...)

Dans ce contexte, les rapporteurs estiment que « les versements de la SODEMEL, bien qu’ils n’entrent dans aucun cadre réglementaire, ont permis à la SAEML Terra Botanica de garder la tête « hors de l’eau » jusqu’en 2013 ». Ils « ont différé l’apparition du déficit structurel de la délégation de service public ». Une perfusion à l’argent public que confirme Jean-Pierre Chavassieux : « si ça n’avait pas été possible, le parc en 2014 fermait ses portes et mettait à la rue une centaine de personnes. » (...)

Pour tenter de sortir de l’impasse, un nouveau cadre juridique a été imaginé : un groupement d’intérêt public (GIP) a pris la relève de la SAEML en 2015 à la tête du parc. Si le département reste majoritaire (51 %) dans cette structure, la ville d’Angers – dont la dernière recrue d’Emmanuel Macron est devenu maire en 2014 – est montée au capital social, en prenant davantage de parts (48 %). Dans son rapport annuel de 2016, la Cour des comptes observe ces manœuvres avec sévérité : « Les besoins en financements publics demeurent particulièrement importants et sont même amplifiés », note-telle. (...)

On le voit, dans ce dossier, la main miraculeuse du « petit bonhomme déjà vert » d’Angers, désormais en charge des questions environnementales de la France, a surtout servi à arroser d’argent public dans des conditions douteuses un projet dont la « réussite » a de quoi interroger. Ces éléments mis sur la table, les contribuables angevins sont légitimes à réclamer des comptes, même si la justice semble avoir tout fait dans cette affaire pour enterrer les secrets de Terra Botanica.