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Libération
Chine Des Indignés signent et persistent
Article mis en ligne le 14 mars 2013

Toute l’année, ils sont des dizaines de milliers à affluer à Pékin avec leurs pétitions contre les injustices et la corruption. Bravant les rafles et rapatriements forcés, ils se font plus nombreux encore lors des grands rassemblements du Parti.

Surgie du pays profond, une marée de dizaines de milliers de plaignants déferle toute l’année sur Pékin dans l’espoir d’être entendue des puissants. On trouve ces infortunés dans un périmètre délimité par la gare du Sud, une station moderne de bus longue distance, et un canal qui servait naguère de douves à la muraille de la ville.

Ils marchent comme des ombres dans l’air terni par la pollution, par groupes d’une trentaine de personnes, bardés de leurs doléances inscrites parfois jusque sur leurs vêtements. Certains brandissent leurs revendications calligraphiées sur des pancartes qu’ils s’accrochent au cou. Les vêtements souvent usés jusqu’à la corde, parfois munis de béquilles ou en chaise roulante, ils transportent des sacs remplis de suppliques imprimées ou écrites à la main et d’archives cent fois photocopiées documentant leurs griefs.


« On n’a plus rien à perdre, et on ne craint pas la mort »,
lance l’un de ces Indignés, le sourire édenté. Il grappille de quoi survivre en vendant sur le trottoir des exemplaires d’un « recueil de chansons des pétitionnaires ». L’une de ces complaintes dit : « A la pleine lune, nous entrons dans Pékin, dans l’espoir que des mandarins intègres nous rendront justice, pour n’apprendre que bien plus tard que tout cela n’était qu’un rêve. »

La vague grossit lors des grandes occasions (...)

Ils dénoncent la corruption des cadres locaux, les passages à tabac dans les commissariats, les enfermements en camp de travail et les séjours dans les « prisons noires » que leur a valus leur opiniâtreté. Car ces indésirables finissent presque tous par subir des calvaires qui surpassent les injustices qui les avaient initialement mobilisés. (...)

Depuis les années 50, les shangfang (littéralement « ceux qui visitent le haut ») se sont toujours rassemblés dans ce quartier délaissé du sud de la ville, situé non loin du Bureau des lettres et des visites, l’organe gouvernemental chargé de recueillir les pétitions. Celui-ci reçoit chaque année par courrier quelque 4 millions de requêtes. Faute de réponse, les auteurs de doléances se rendent en personne au bureau des lettres et visites de leur province, puis, en désespoir de cause, à l’office central de Pékin. Une longue queue les attend, et ils n’ont qu’une chance sur des milliers de voir leur cas résolu. Le bidonville de tentes et de tôles qu’occupaient ces démunis a été détruit par les autorités peu de temps avant les Jeux olympiques de 2008, afin de ne pas nuire à l’image de la capitale. Pourtant, inlassablement, la cohorte se renouvelle, incongru mélange de contestation et de soumission. (...)

Les plaignants vivent dans l’angoisse permanente des rafles de police. Des agents déboulant de toutes les provinces patrouillent en effet dans le quartier, ciblant les pétitionnaires de leur région. L’hôtel Qiaoyuan, haute silhouette de vingt étages bordant le faubourg, est exclusivement rempli de ces hommes venus pour leur mettre la main dessus. Le parking déborde de voitures à gyrophares aux plaques minéralogiques de provinces aussi lointaines que le Guangxi, à 2 000 kilomètres au sud de Pékin.

Le droit de pétition a été instauré par Mao dans les années 50, ou plutôt rétabli, car il avait existé sous une forme différente pendant l’ère impériale. Garanti par l’article 41 de la Constitution, il est utile aux autorités centrales : au travers des dossiers de récriminations qui lui parviennent, Pékin peut juger de la situation dans une région donnée, indépendamment des rapports officiels enjolivés.

Mais les fonctionnaires locaux, qui craignent que les affaires embarrassantes dévoilées par les shangfang fassent obstacle à leur promotion, déploient toute une batterie de mesures extrajudiciaires pour les empêcher de se rendre à la capitale. (...)

A l’arrivée, beaucoup sont enfermés dans des cellules aménagées à l’intérieur d’appartements ou de maisons. Ils ne sont libérés que lorsque les autorités locales, qui ont commandité le rapt, s’acquittent des sommes d’argent convenues auprès de ces jiefangren (les « récupérateurs ») (...)

Une fois rapatrié de force, le plaignant n’a en général qu’une idée en tête : retourner à Pékin. Pour contrecarrer ce projet, les autorités locales les placent arbitrairement sous surveillance (...)

Ce genre d’emprisonnement extrajudiciaire a été institutionnalisé à Pékin, où la police rafle systématiquement les pétitionnaires au moment des grands événements politiques. Les centaines de policiers en civil affectés à cette tâche les localisent, selon les plaignants, par les signaux des téléphones portables. Détenus de gré ou de force, ils sont ensuite acheminés en banlieue, dans des bus aux vitres fumées, sur trois sites de détention baptisés « centres de secours ».

Fin 2011, 25 plaignants protestant contre leur expropriation s’étaient agenouillés pendant trente secondes devant le drapeau chinois sur la place Tiananmen. Ils ont tous été condamnés à des peines allant de un à trois ans de camp de travail.