
Ils ont pris les avenues de Khartoum, debout sur le plateau de leurs pick-up Toyota, le menton arrogant, la main sur la mitrailleuse lourde. Ils roulent vite sur les avenues en convois conquérants. À chaque carrefour, sous les arbres, certains dorment sur des tapis qu’ils emportent dans leur véhicule, à côté des fagots de lance-roquettes et des gros bidons bleus d’essence. Ils marchent par deux ou trois, du pas nonchalant de ceux qui ne craignent rien, fouettant l’air avec le long bâton dont ils se servent pour ouvrir les crânes et briser les os. Leurs uniformes de camouflage couleur sable terrorisent depuis huit jours les habitants de la capitale soudanaise. Ils sont appuyés par les hommes des services de renseignements, le Niss, en civil ou en uniforme, et par ceux du Congrès national, le NCP (Nationalist Congress Party), proche des Frères musulmans arrivés au pouvoir avec Omar El Béchir voilà trente ans.
Lundi 3 juin, à l’aube, les janjawids ont fondu sur le sit-in de Khartoum, ce vaste espace entre le QG de l’armée et le Nil, occupé par les révolutionnaires depuis le 6 avril. Deux mois d’agora politique, de rêve, de fête familiale et de happening permanent, l’idée d’un nouveau Soudan en train de se construire là, maintenant, grâce à l’énergie de dizaines de milliers de personnes… À la surprise générale, alors que certains négociateurs annonçaient en chuchotant un accord « dans les prochains jours », les janjawids lancent l’assaut à l’aube. (...)
Les premières images tournées par les témoins arrivent sur les téléphones portables, avant que le flux ne soit interrompu par la coupure d’Internet. Elles sont insoutenables. Des corps traînés dans leur sang, des torses brûlés, un jeune, le tee-shirt jaune couvert de rouge, titube, s’accroche à sa barricade, puis s’effondre lentement, des plaies ouvertes à la tête et à l’abdomen.
Juste après l’attaque, les premiers rescapés témoignent.... (...)
#Soudan A #Khartoum, des milices équipées par l'Arabie Saoudite : Riyad a fourni les véhicules avec lesquels les janjawids ont commis leur tuerie. Reportage https://t.co/0IqV2drjB7 pic.twitter.com/33ZIaZ5ASn
— L'Humanité (@humanite_fr) 11 juin 2019
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– Le Soudan suspendu de l’Union africaine alors que la situation se détériore
Jeudi 6 juin, conformément à ses textes en cas de coup d’Etat, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA a suspendu avec effet immédiat le Soudan des activités de l’organisation jusqu’à la mise en place d’une transition. : « Nous décidons, en tant que Conseil, de suspendre à compter de ce jour la participation de la République du Soudan à toutes les activités de l’Union africaine jusqu’à la mise en place effective d’une autorité civile de transition, qui est la seule voie pour sortir de la crise actuelle. » Au nom de l’UA, l’ambassadeur du Sierra Leone et président du Conseil de paix et de sécurité Patrick Kapuwa a déclaré : « Le Conseil imposera automatiquement des mesures punitives sur les individus et les entités qui ont empêché l’établissement d’une autorité civile »
Le 30 avril dernier à Tunis, l’organisation panafricaine avait fixé une période de 60 jours au Conseil militaire soudanais afin de remettre le pouvoir aux civils, faute de quoi le pays serait soumis à des sanctions – des interdictions de visas ou des mesures commerciales en particulier. La suspension fait suite à la quatrième réclamation d’une transition de l’UA depuis le 15 avril (...)
Le dossier soudanais suscite l’intérêt de la communauté internationale. L’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et l’Egypte ont appelé au dialogue entre les deux parties du pays – armée et contestataires. En tant que soutiens de taille du Conseil militaire, ces derniers n’ont pas condamné la répression. Le soutien politique et financier du camp mené par l’Arabie saoudite s’explique par ailleurs par des motifs religieux. En effet, le Conseil militaire entend préserver la charia, en vigueur depuis le coup d’Etat du président déchu Omar el-Béchir en 1989. Toutefois, le reste de la communauté internationale a unanimement dénoncé ce « massacre ». En effet, vendredi 7 juin, l’ONU et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont dénoncé les attaques ,qui ont notamment visé « les personnes dans le besoin, les agents de santé et les installations médicales ». La veille, Washington avait dénoncé ces attaques auprès des autorités saoudiennes en réaffirmant l’engagement des Etats-Unis en faveur d’une solution pacifique pour le pays. Le ministère des Affaires étrangères français se dit quant à lui également « préoccupé par l’évolution de la situation au Soudan » et condamne les violences commises.
En dépit des répressions, le mouvement de contestation appelle à poursuivre la mobilisation. Dénonçant des crimes contre l’humanité commis par les milices et face à la violence du régime en place, les manifestants menés par l’Association des professionnels soudanais (APS) – fer de lance de la révolution – soutiennent la voie de la grève et de la désobéissance civile « jusqu’au renversement du régime ». (...)
– Rashid Saeed « La désobéissance civile largement suivie »
Porte-parole de l’Association des professionnels soudanais (APS), fer de lance de la révolution, Rashid Saeed encourage, malgré la violence militaire, à tenir une ligne pacifiste. (...)
RASHID SAEED : D’abord, il faut souligner l’extraordinaire courage du peuple soudanais, qui continue de défier la junte. Malgré de nouvelles violences et la mort de quatre manifestants, la grève générale et l’appel à la désobéissance civile ont été largement suivis. Le taux de participation dans la fonction publique et la banque a atteint les 95 % sur l’ensemble du territoire. Nous avons réussi à paralyser le pays avec des barrages partout dans les grandes villes. C’est un premier pas important, car, après le massacre du 3 juin et la dispersion du sit-in de Khartoum, le Conseil militaire pariait sur un échec de la mobilisation populaire et l’affaissement de la révolution (...)