
C’est une bataille peu médiatisée qui se déroule dans les campagnes. Face au risque d’un nouvel épisode de grippe aviaire, l’administration a sorti l’artillerie lourde à travers des mesures de biosécurité s’appliquant, de la même manière et quelle que soit leur taille, à tous les élevages de volailles. Plutôt que de questionner la densité des élevages, ou le rôle du transport d’animaux vivants dans la diffusion du virus, les élevages en plein air sont les plus affectés. Du Vaucluse au Calvados, en passant par la Drôme, des éleveurs, vétérinaires et consommateurs se mobilisent pour défendre l’élevage fermier face au modèle industriel.
Ces dernières semaines, les mesures de confinement des volailles ont été peu à peu levées dans l’hexagone, sauf dans le Sud-Ouest. L’influenza aviaire – appelée « grippe aviaire » si elle se transmet à l’homme, ce qui est rare – serait en voie « d’extinction prochaine », selon l’ancien ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll, remplacé le 17 mai par Jacques Mézard. Stéphane Le Foll précisait alors « que le respect des règles de biosécurité reste un préalable indispensable à la reprise d’activité ». Et c’est là que le bât blesse. Car ces règles, définies dans un arrêté de février 2016 [1], concernent tous les élevages de volailles, quels que soient leur taille, dès lors qu’il y a une activité commerciale.
« Celui qui a 50 poules en complément d’activité est assujetti aux mêmes mesures que celui qui en a 18 000, c’est ubuesque ! », déplore Christine Filliat, vétérinaire spécialisée en aviculture, à Châteauneuf-sur-Isère dans la Drôme. (...)
Comment expliquer de telles mesures ? « La plus grande crainte de l’administration est le passage du virus aviaire au porc, avec un risque de mutation pour l’homme », explique Christine Filliat. Les palmipèdes étant ceux par lesquels le scandale est arrivé, ils doivent désormais être gérés séparément des gallinacées (poulets, pintades, dindes...). Résultat, nombre de paysans qui élevaient différentes espèces de volailles ont cessé les canards et les oies, afin d’éviter la mise en place de doubles sas.
Dans le Calvados, Olivier Storez poursuit pour le moment l’élevage en plein air de canards, oies, poulets et poules pondeuses. « D’après leurs normes, je n’ai plus le droit de nourrir et d’abreuver à l’extérieur. Quant aux sas, c’est complètement irréaliste : il faudrait en mettre un à l’entrée du bâtiment, et de chaque parc et champ. Je ne vais pas changer de bottes pour aller d’une clôture à l’autre ! Il faudrait se changer pour vérifier par exemple que l’abreuvoir fonctionne. De toutes manières, s’il y a un virus, il peut passer d’un parc à l’autre, il faut être réaliste ! Tout est pensé par rapport à l’agriculture industrielle, le bon sens paysan n’existe plus. »
Pour l’élevage fermier, des mesures « irréalisables » (...)
Christine Filliat, qui parcourt l’hexagone pour dispenser des formations sur la biosécurité, fait également état de nombreux endroits où il n’y a pas d’eau courante. « L’État et leurs agents n’ont aucune notion des pratiques réelles dans ces élevages », observe t-elle. L’angoisse du contrôle chez les éleveurs proches de la retraite a amenés ces derniers mois plusieurs d’entre eux à cesser prématurément leur activité. (...)
La vétérinaire Christine Filliat reconnaît le fait que l’interprétation de la loi varie d’une DDPP à l’autre. « Il faut en finir avec cette situation dans laquelle l’application de la norme dépend du contrôleur. C’est la raison pour laquelle une réunion s’est récemment tenue avec l’ensemble des inspecteurs nationaux, pour essayer d’aboutir à un consensus », détaille-t-elle.
Privilégier l’obligation de résultat sur celle de moyen
Christine Filliat travaille avec la Confédération paysanne sur l’élaboration d’un guide pratique qui doit être validé par l’Institut technique des filières avicoles et l’administration, pour adapter la loi aux élevages en plein air. Ce guide concerne notamment les élevages dits « en autarcie », ayant le contrôle de leur chaîne de production, pour éviter l’introduction de virus (lire notre enquête sur les dessous de l’influenza aviaire et voir cette pétition). L’enjeu : trouver un équilibre entre le risque réel et l’investissement réalisé. (...)
Depuis sa ferme dans le Rhône, Annick Cellard regrette que les éleveurs ne soient pas assez soutenus par les élus. A défaut de promesses électorales qui risqueraient de ne pas être suivies d’effet, ce sont les consommateurs des Amap où elle livre ses œufs qui lui permettent de tenir.