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Mediapart
Ce que le droit à l’information doit à WikiLeaks
Article mis en ligne le 11 décembre 2021

L’organisation fondée par Julian Assange est à l’origine de plusieurs des principaux scoops de ces quinze dernières années. Elle a également profondément influencé les autres médias en popularisant de nouveaux modes de collaboration et de protection des sources.

WikiLeaks n’a pas été le premier site de leaks. Dès 1996, soit dix ans avant le lancement officiel du projet de Julian Assange, son ancêtre Cryptome.org mettait déjà à la disposition du public des documents confidentiels tout en préservant l’anonymat de leurs sources.

Ses fondateurs, John Young et Deborah Natsios étaient d’ailleurs des connaissances de Julian Assange, qu’ils fréquentaient notamment sur la mailing-list « Cypherpunks », haut lieu de l’hacktivisme des années 1990 et dont le futur fondateur de WikiLeaks a été un actif contributeur.

C’est là que le jeune Australien, déjà célèbre dans le milieu des hackers pour ses exploits techniques, affinera ses convictions politiques, et notamment celle selon laquelle la libre circulation des informations est le meilleur moyen de garantir une démocratie équilibrée, non confisquée par les plus puissants. (...)

Un projet qui prendra le nom de Wikileaks et pour lequel il risque 175 années de prison aux États-Unis - la justice britannique a ouvert vendredi la voie à son extradition. (...)

Dans une note publiée le 31 décembre 2006 sur son blog IQ.org, Julian Assange explique ainsi : « Dans un monde où les fuites sont faciles, les systèmes secrets ou injustes sont frappés de manière non linéaire par rapport aux systèmes justes et ouverts. Étant donné que les systèmes injustes, de par leur nature, suscitent des opposants, et qu’à de nombreux endroits, ils ont à peine l’avantage, les fuites massives les rendent extrêmement vulnérables à ceux qui cherchent à les remplacer par des formes de gouvernance plus ouvertes. » (...)

Le même mois, WikiLeaks publie son premier leak : un ordre d’assassinat de membres du gouvernement somalien signé par un homme politique islamiste, Hassan Dahir Aweys. Mais c’est en réalité un faux départ. Comme l’avait raconté le New Yorker en 2011, plusieurs membres de l’organisation doutent de l’authenticité du document. Il est donc publié, mais sous la forme d’un appel aux internautes d’aider à déterminer sa véracité. Au bout de plusieurs semaines, la question n’est toujours pas tranchée et Wikileaks finit par retirer le document de son site.

C’est le 31 août 2007 que l’organisation fait réellement son entrée sur la scène médiatique lorsque The Guardian publie un article intitulé « Le pillage du Kenya » dénonçant la corruption au sein de la famille de l’ancien président du Kenya Daniel arap Moi. L’enquête se base sur un rapport, précise le quotidien britannique, « obtenu par le site WikiLeaks qui a pour objet de dénoncer la corruption ».

Le 7 novembre 2007, l’équipe de Julian Assange s’attaque pour la première fois à l’armée américaine en publiant les « procédures opérationnelles normalisées pour le camp Delta », le nom de la base américaine de Guantanamo. (...)

Cette « révélation met en lumière l’utilité d’internet pour les lanceurs d’alerte pour propager anonymement des documents que le gouvernement ou d’autres préféreraient cacher, écrit alors le magazine américaine Wired en relayant le document. Le Pentagon résiste - depuis octobre 2003 – à une requête au nom de Freedom Information Act de l’American Civil Liberties Union visant le même document ».

L’année 2008 est marquée par les premières poursuites intentées contre WikiLeaks, ainsi que par le premier mouvement de soutien en sa faveur. Au mois de janvier, l’organisation publie une liste de comptes de la banque suisse Julius Baer ouverts par sa filiale des îles Caïmans. Celle-ci envoie alors plusieurs mises en demeure à WikiLeaks lui demandant de les retirer. (...)

La campagne est un succès. Le 29 février, un juge annule l’ordre de blocage de WikiLeaks.org et, le 8 mars, la banque Julius Baer annonce l’abandon de la procédure.

Désormais sous les projecteurs, WikiLeaks fait, durant les mois qui suivent, régulièrement la une des médias du monde entier. (...)

L’année 2010 a été celle où Julian Assange et son équipe sont définitivement entrés dans l’histoire de la liberté de la presse en publiant plusieurs séries de révélations sur l’armée américaine étayées par les centaines de milliers de documents fournis par Chelsea Manning.

Le document le plus emblématique de cette série de leaks est sans aucun doute la vidéo « Collateral Murder », mise en ligne le 5 avril depuis une maison louée par Julian Assange en Islande et transformée en « bunker ». (...)

Pour publier la masse considérable de documents en sa possession, WikiLeaks noue des partenariats avec plusieurs grands journaux. Au mois de juillet, en collaboration avec The Guardian, The New York Times et Der Spiegel, WikiLeaks débute la publication des Afghan War Logs, une série de plus de 90 000 documents chroniquant les opérations de l’armée américaine en Afghanistan entre janvier 2004 et décembre 2009. Ils révèlent notamment que les forces de la coalition ont été impliquées dans pas moins de 150 bavures dans lesquelles des civils ont trouvé la mort.

Au mois d’octobre, c’est au tour des Iraq War Logs, 400 000 documents qui dévoilent, là encore, le nombre considérable de civiles victimes de la guerre américaine en Irak. (...)

Les documents montraient également que, en dépit du scandale de la prison d’Abou Ghraib de 2004, les actes de tortures, d’humiliation et de maltraitance des prisonniers s’étaient poursuivis dans les centres de détention gérés par l’armée américaine. (...)

Face à la masse considérable d’informations à analyser, l’organisation élargit son partenariat à plusieurs médias, dont le Monde en France et El Pais en Espagne. Les multiples révélations touchent des pays du monde entier et dépeignent d’une manière crue les coulisses de la diplomatie américaine. (...)

Mais l’année 2010 marque également le début de sérieux ennuis pour WikiLeaks. De manière prémonitoire, l’organisation avait rendu public, au mois de mars, un mémo interne du Pentagon du mois de février 2008 qualifiant l’organisation de « menace » et indiquant comment l’éliminer. (...)

Et l’année 2010 a effectivement été celle du début de la répression des membres de WikiLeaks et de leurs sources. À partir du moment où l’organisation débute la publication des documents fournis par Chelsea Manning, l’organisation fait l’objet de multiples pressions. Au mois de janvier, la société américaine PayPal bloque son compte lui permettant de recevoir des donations, suivie de Mastercard et de Visa Europe.

Plusieurs autres sociétés coupent les ponts avec WikLeaks, dont l’un de ses hébergeurs, le géant Amazon. Le site de l’organisation fait également l’objet de plusieurs attaques par déni de service, visant à le rendre inaccessible en le saturant de requêtes.

En France, le ministre de l’économie numérique, Éric Besson, demande ainsi à l’hébergeur OVH de cesser toute collaboration avec WikiLeaks. (...)

Toutes ces pressions conduiront même les Nations unies à dénoncer ce qu’elle qualifie alors de véritable « cyber-guerre contre WikiLeaks ». Mais, grâce à de nombreux soutiens, Julian Assange et son équipe parviennent à résister à ces tentatives de censures, notamment en multipliant les « sites miroirs ».

Plus gênant, au mois de mai, Chelsea Manning est interpellée après avoir révélé son identité lors d’une discussion en ligne avec un hacktiviste, Adrian Lemo, qui l’a trahie et alerte les autorités. La lanceuse d’alerte sera condamnée à trente-cinq années de prison le 21 août 2013. Une peine réduite par Barack Obama à la toute fin de son mandat, en janvier 2017, conduisant à sa libération au mois de mai suivant.

Parallèlement, Julian Assange est lui-même mis en cause. (...)

Malgré l’isolement de son rédacteur en chef, WikiLeaks poursuit ses publications, même si c’est à un rythme sensiblement moins soutenu. (...)

Au mois de juin 2013, WikiLeaks vient en aide à un autre lanceur d’alerte, Edward Snowden, qui se trouve alors réfugié à Hong Kong, sous la menace d’une imminente arrestation. L’organisation dépêche sur place sa journaliste Sarah Harrison qui organise sa fuite hors du pays. Celle-ci s’arrêtera cependant à Moscou en raison de l’annulation par les États-Unis du passeport de l’ex-employé de la NSA.

Au mois de juin 2015, WikiLeaks publie, en collaboration avec plusieurs journaux, dont Mediapart, une série de notes de synthèses de la NSA montrant que trois chefs d’États français, François Hollande, Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac, ainsi que de nombreux responsables français, avaient fait l’objet d’un espionnage intensif entre 2006 et 2012. Dans la foulée, l’organisation révèle que d’autres dirigeants, dont Angela Merkel en Allemagne ou Dilma Rousseff au Brésil, avaient été la cible d’opérations similaires.

L’année 2016 est celle de la publication des « DNC Leaks », consistant en près de vingt mille mails du comité national du parti démocrate qui préparait alors les élections présidentielles à venir. Ils sont suivis, au mois d’octobre, par la publication des « Podesta mails », du nom de John Podesta, responsable de la campagne de la candidate démocrate Hillary Clinton.

Parmi les autres révélations majeures faites par WikiLeaks ces dernières années, on peut également citer la série « Vault 7 », dont Mediapart fut l’un des partenaires, et révélant les principaux outils d’intrusion informatique de la CIA. Cette série de documents avait provoqué la colère de l’agence et conduit à une accélération des pressions américaines sur Julian Assange. (...)

La dernière série de leaks publiés par WikiLeaks remonte au mois de juillet dernier et la publication de « The Intolerance Network », une série de documents sur le mouvement conservateur espagnol Hazte Oir et son association Citizen Go.

Outre ces multiples révélations, Julian Assange et son équipe ont profondément modifié les rapports entre les médias traditionnels et les lanceurs d’alerte. Depuis son origine, WikiLeaks a ainsi toujours réussi à préserver l’identité de ses sources et à garantir l’authenticité des documents qu’il publiait. Et, au fil de ses publications, il a réussi à tisser des liens avec les journalistes partenaires et à mettre en place de nouvelles formes de collaborations. (...)

WikiLeaks a en tout cas eu une influence incontestable sur les pratiques journalistiques, en mettant en lumière les problématiques de protection de sources, de sécurisation des communications et d’authentification des documents. Son modèle a depuis été repris et copié, par d’autres plateformes comme GlobaLeaks ou OpenLeaks, ainsi que par de nombreux médias ayant développé leurs propres plateformes de dépôt sécurisé de documents.