
Au Cameroun, l’accident d’un train affrété par une filiale du groupe Bolloré, qui avait fait 79 morts en octobre 2016, suscite toujours des questions. Un rapport d’expertise sur les causes de cette catastrophe ferroviaire n’a jamais été transmis à la justice.
les déclarations d’un expert français sont venues récemment semer le trouble. Pierre Cerutti, dirigeant d’un cabinet d’expertise mandaté par les autorités camerounaises pour enquêter sur ce drame, a suggéré dans une lettre ouverte adressée en octobre 2019 à Paul Biya, président du Cameroun, que les juges n’avaient pas eu en main toutes les cartes nécessaires. Selon lui, la procédure judiciaire a même connu des « irrégularités ». [2]
Officiellement, 79 personnes ont été tuées et 600 autres blessées dans cet accident survenu le 21 octobre 2016. Plusieurs des 17 wagons se sont détachés et écrasés dans un ravin, à Eséka, localité située à mi-chemin entre Yaoundé, capitale politique, et Douala, capitale économique du Cameroun. Le convoi roule alors à une vitesse plus de deux fois supérieure à celle autorisée (40 km/h). Juste avant le départ, huit voitures sont ajoutées pour faire face à un afflux inhabituel de voyageurs, en raison d’une interruption du trafic routier entre Yaoundé et Douala. Juste après le déraillement, des experts et des rescapés émettent l’hypothèse d’un freinage défaillant. (...)
M. Cerutti révèle dans sa lettre avoir appris, plusieurs mois plus tard, qu’aucune de ces 46 copies n’a été, comme il l’aurait fallu, communiquée à la justice. Le rapport a « totalement disparu », écrit-il. (...)
Que dit le rapport d’étape ? Que l’accident est la « conséquence d’une accumulation d’erreurs et de négligences » de la part de Camrail. Il en énumère cinq : « Formation d’un convoi surchargé ; freinage défaillant de nombreuses voitures (…) ; neutralisation par les services d’entretien de la société Camrail du frein rhéostatique de la motrice ; absence de vérification sérieuse de la continuité de freinage de la rame avant son départ de Yaoundé ; non prise en compte, par la direction technique de la société Camrail, des réserves émises par le conducteur. » Camrail a contesté ces affirmations : elle avance plutôt « l’hypothèse d’une défaillance ou d’un défaut de conception » d’une partie des wagons « comme cause de l’accident ». (...)
Le rapport « disparu » pointe des erreurs supplémentaires de Camrail
« Ce rapport définitif n’a pas été versé au dossier judiciaire. Dans l’intérêt du groupe Bolloré ou des victimes ? », s’interroge aujourd’hui Michel Voukeng, membre d’un collectif d’avocats qui défend 228 victimes de l’accident. En 2018, le tribunal d’Eséka a condamné Camrail à payer une amende de 500 000 francs CFA, soit 762 euros. Il a aussi jugé coupables d’« homicides et blessures involontaires » et d’« activités dangereuses » onze employés – qui ont en majorité gardé le silence pendant le procès.
Le tribunal a infligé les plus lourdes peines au conducteur du train et au chef de la sécurité de Camrail de Yaoundé, soit respectivement cinq ans et trois ans de prison ferme. Les deux hommes, de nationalité camerounaise, n’ont toutefois pas été placés en détention : ils sont en fuite. D’après plusieurs sources, le conducteur s’est exilé au Canada. Le directeur général, un ressortissant belge, a écopé de six mois de prison avec sursis. Les juges ont aussi fixé des indemnités à verser aux victimes. Mais ces dernières les ont estimées très insuffisantes. (...)
Outre le fait qu’il est plus détaillé et précis que le rapport d’étape, le rapport « disparu » – que Basta ! a pu consulter – soutient que le nombre de voyageurs du train communiqué par Camrail a été sous-estimé. Il liste également trois « erreurs et inconséquences » supplémentaires qui auraient été commises par Camrail. À savoir : une « non prise en compte par la hiérarchie de Camrail des graves anomalies signalées en rouge dans le rapport du service matériel » ; un « ordre écrit donné au conducteur par le responsable de la sécurité de prendre le départ en dépit des graves défectuosités précitées » ; le « choix finalement fait par le conducteur d’obéir en dépit du danger aux ordres inconséquents qui lui avaient été donnés par sa hiérarchie ». (...)
La question est désormais de savoir si les révélations de M. Cerutti auront un impact sur la suite de la procédure. Car le dossier Camrail est loin d’être clos : il reviendra dans l’actualité judiciaire au cours des mois prochains avec un procès en appel – pour lequel aucune date n’a encore été fixée. (...)
Nous reproduisons ici en intégralité la réponse apportée par Bolloré Railways à nos questions : (...)