
Des casseurs à Nantes vendredi 20 mai, une population apeurée, un référendum sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, et des amalgames. La violence ne fait que donner des arguments au gouvernement, explique l’auteur de cette tribune. Qui, à la lumière d’une enquête sur l’infiltration par la police des mouvements sociaux en Angleterre, s’interroge : en France, qui allume la mèche de la violence ?
Une ville en état de siège. Nantes. Des policiers qui barrent des ponts et de nombreuses routes. Des gens ordinaires qui ne parlent plus que des casseurs. À de multiples reprises, les Abribus, les panneaux de signalisation, des magasins, dont certains étaient des merceries ou des marchands de journaux, ont été fracassés. La gare SNCF a été proprement dévastée et les billetteries en partie détruites.
Qui est responsable ? D’évidence, une fraction de la jeunesse locale — disons entre 500 et 800 personnes — sympathise avec ces actions, et y participe plus ou moins activement. C’est beaucoup d’un côté et cela reste peu si l’on rapporte le chiffre à la population générale de Nantes Métropole, 602.000 habitants en 2012.
Aucune société historique n’aura échappé à la violence sociale et politique. L’État, forme actuelle de l’autorité légitime, est fatalement contesté. Et les couches et classes sociales qui forment le socle commun s’affrontent constamment pour la raison que leurs intérêts ne sont pas le mêmes. Pas toujours les mêmes. La violence est donc un fait social. Est-elle utile ? Elle est parfois inévitable. Au risque de la ritournelle, qu’aurait pu offrir la non-violence face à la barbarie hitlérienne ? (...)
À l’été 1972, quand je posai le pied pour la première fois sur le Grand-Causse, je n’avais pas encore 17 ans. À cette époque, il n’y a aucun doute que j’étais en faveur de la violence armée pour renverser l’ordre que je connaissais. Les pacifistes et non-violents qui menaient le combat sur le plateau m’énervaient beaucoup. Dans mes bons jours, je les voyais comme d’excellents tacticiens, qui déjouaient les plans du pouvoir. Mais dans mes jours de rage juvénile, qui dominaient, je maudissais ces indécrottables naïfs qui entraînaient dans une impasse tragique les milliers de jeunes qui leur faisaient confiance.
J’avais tort. Dieu du ciel, comme ils avaient raison ! Ceux du Larzac avaient trouvé ensemble, comme par miracle, la forme politique seule qui leur assurait de durer dans l’unité, et d’épuiser les imbéciles alors au pouvoir. Bref. Le Larzac aura été de bout en bout une école de vaillance, de ténacité, d’intelligence, de démocratie. Et de non-violence. Quelques années plus tard, j’ai pu suivre, un cran au-dessous, la superbe bagarre contre les barrages sur la Loire et ses affluents. Cette longue mobilisation, avec campement permanent sur les rives de la Loire, choisit elle aussi la non-violence, et aurait péri sans doute en lui préférant l’affrontement. (...)
À l’inverse, sans la détermination physique des zadistes de Notre-Dame-des-Landes, sans leur témérité, sans leur courage face aux si nombreux policiers qui les ont constamment assaillis, le chantier de cet aéroport maudit aurait déjà commencé depuis des lustres. Quiconque ne reconnaît pas cela est un aveugle, ou un menteur. Je leur rends hommage sans hésitation, et ce n’est pas la première fois. Merci à vous !
Mais il faut bien revenir à Nantes, en ce 20 mai de 2016, où de considérables violences ont lieu, à répétition. Elles ne sont nullement stériles, car elles fabriquent sous mes yeux ou presque, une opinion apeurée qui désormais confond, au moins en partie, le combat contre l’aéroport et la destruction de la gare SNCF. À quelques semaines d’un référendum pour ou contre le projet, qui devient chaque jour un peu plus une arme de guerre du pouvoir socialiste.
Je ne crois pas à l’innocence de ces destructions
Cette violence n’est pas défendable, car elle s’attaque aux conditions de vie et de travail d’une population qu’on prétend vouloir convaincre de lutter contre le projet de loi travail El Khomri. Telle qu’elle apparaît, elle est une aubaine pour un gouvernement qui sait au moins comment instrumentaliser des images de barres de fer et de vitres brisées. Les jeunes gens qui cassent ne parlent nullement au peuple de leur pays, ils ne disposent d’aucune stratégie susceptible d’expliquer, encore moins d’entraîner. Ils recherchent et ils obtiennent un face-à-face avec l’adversaire rêvé : des policiers débordés, tantôt incités par leur hiérarchie à ne pas bouger, tantôt poussés au contraire au contact direct, potentiellement meurtrier. Ce tableau est connu depuis des lustres, et mutatis mutandis, ces jeunes pourraient entonner le chant imbécile des barricades de Mai 68. Les CRS y étaient, rappelons-le, des SS.
Ceci posé, je dois écrire un complément : je ne crois pas à l’innocence de ces destructions. Il existe bel et bien un combustible, et je l’ai dit : quelques poignées de jeunes surexcités, qui croient vivre de grandes heures de leur vie, et qui ne veulent pas voir le formidable cadeau qu’ils offrent à toutes les forces politiques et policières de la régression. Oui, le combustible est là. Mais qui allume la mèche ? (...)
Peut-être les violences en cours sont-elles ce qu’elles prétendent être. Peut-être comptent-elles aussi d’autres acteurs. Je suis assez vieux pour avoir été le témoin de très étranges phénomènes au cours de mobilisations importantes. Ainsi de la manifestation antinucléaire de Malville, en 1977. Ainsi de la manifestation parisienne des sidérurgistes, le 23 mars 1979. La liste est plus longue.
Et justement, voilà notre président lui-même qui nous replonge dans le passé. Le 17 mai, parlant sur Europe 1, il déclarait connaître les responsables des manifestations contre la loi El Khomri et des violences : « C’est un mouvement qui vient des zadistes et qui, quelques fois, peut comporter des personnes qui sont étrangères. » Et il ajoutait : « Il y aura reconduite à la frontière. » On jurerait Pompidou expulsant Cohn-Bendit vers l’Allemagne en 1968. On jurerait Raymond Marcellin, ministre des policiers entre 1968 et 1974. On jurerait Alain Peyrefitte, imposant en 1979 sa célèbre loi anticasseurs. Il règne en France une atmosphère irrespirable. Le gaz lacrymogène, irritant autant qu’aveuglant, est partout.