
L’école ne l’aimait pas, alors il l’a quittée avec son seul BEPC et a conduit des trains. Puis, un jour, sa soif de savoir l’a remis sur les rails et l’a emmené à Bac + 8 : le cancre Christian Verrier prof de fac ! Il vient de lancer avec des collègues l’Université Coopérative de Paris. Mais montez donc, et sans prendre garde à la fermeture des portes : avec lui, on roule portes ouvertes.
(...) Drancy, dans la banlieue alors rouge, l’adolescent aime les livres mais pas l’école, qui le lui rend bien. Le prof professe, le jeune Christian lit en cachette. Il redouble, deux fois, et s’enfuit, en cours de 1ère, avec son seul BEPC en poche. Il devance pour s’en débarrasser le service militaire et intègre la SNCF où l’on peut alors entrer sans diplôme.
« Toi, l’intello, tu peux corriger notre tract ? »
Là, il pourrait se former et devenir chef conducteur. Ben non. « J’ai toujours eu un problème avec la hiérarchie. » Il apprend seulement la guitare avec l’Association des artistes cheminots. Donc, l’artiste roulant se contente de rouler. Et de militer. À Amnesty International, pas dans un syndicat : « Tous mes meilleurs potes étaient syndiqués, j’ai toujours fait grève avec eux mais les syndicats, je ne m’y retrouvais pas. »
Un peu intello, l’ex-lycéen décrocheur. D’ailleurs, « Toi, l’intello, tu peux corriger notre tract ? » lui lancent un jour quatre collègues réunis au coin d’une table à son dépôt de Paris-Nord. L’appel à la grève illimitée, porté par les roulants de dépôt en dépôt, paralysera la France durant 26 jours. Automne 86, la plus longue grève du rail. Christian Verrier bombardé porte-parole de Paris-Nord. (...)
À 42 ans, il soutient sa thèse. Le cheminot devenu docteur - Bac + 8 - part interroger son patron. En substance : je peux peut-être vous intéresser au service formation ? « Ils ont voulu m’envoyer passer des tests psychotechniques, les mêmes que pour mon embauche en 73 ! » Encore une panne à la SNCF. Il se trouve que parallèlement, un poste de maître de conférence se présente à Paris-8. Il hésite mais une secrétaire, d’elle-même, lui remplit son dossier. À 44 ans, le conducteur de train Christian Verrier démissionne de la SNCF et devient aiguilleur de savoir. (...)
En juin 2007, Christian Verrier propose un projet d’université populaire expérimentale à Paris-8. L’u2p8 verra le jour deux ans plus tard. Mais sans lui. En octobre 2007, frustré de manquer de temps pour chaque étudiant, l’incorrigible rebelle « préfère laisser la place à des jeunes qui ont besoin d’argent. » Il prend sa retraite de cheminot (sans train gratuit ni caisse de prévoyance car démissionnaire. (...)
Désormais, il va professer librement. Et s’enthousiasmer encore et toujours devant des capacités insoupçonnables. Par exemple dans des jurys de masters à l’u2p8, tel le mémoire de cent pages sur les jeux vidéos d’un lycéen décrocheur : « Je pensais que ce n’était pas possible, or c’est possible ! »
Son ami Mehdi Farzad, le directeur du Collège coopératif de Paris, le sollicite aussi régulièrement. Ces deux hommes-là ne manquent pas d’idées ! L’une émerge soudain au début du printemps 2012 et se concrétise dès la rentrée suivante : l’UCP,l’Université Coopérative de Paris. (...)