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L’Humanité
CHRISTOPHE DELTOMBE « LA CRISE MIGRATOIRE N’EXISTE PAS, C’EST UNE CRISE DE LA SOLIDARITÉ »
Article mis en ligne le 1er juillet 2018

Le nouveau président de la Cimade, Christophe Deltombe, dénonce l’hypocrisie de l’exécutif français, qui, dans un contexte européen très tendu, élabore une loi attentatoire aux droits des étrangers et à l’asile

(...) Christophe Deltombe : Jacques Toubon a dit : « Les demandeurs d’asile sont maltraités. » On vient d’ajouter une couche à cette maltraitance en augmentant la suspicion à l’égard de ceux qui cherchent une protection de la France. La majorité sénatoriale vient de multiplier les mesures restrictives, allant jusqu’à porter atteinte au droit du sol, comme c’est le cas à Mayotte. C’est pourtant un droit constitutionnel régi par le Code de la nationalité. C’est extrêmement grave et ça se fait en jetant la suspicion sur les parents des enfants pourtant nés dans ce département français. Tout cela pour répondre à des stratégies strictement politiciennes. C’est la même chose en ce qui concerne la suppression de l’aide médicale d’État aux personnes étrangères pour la remplacer par une aide d’urgence. C’est démagogique et contraire au code éthique médical. De plus, c’est infaisable. Comment et qui définira si telle ou telle affection relève d’une urgence ou non ? Démagogie aussi, l’idée de supprimer les droits sociaux à une personne étrangère sous le coup d’une obligation de quitter le territoire ou qui décide d’être domiciliée ailleurs que là où l’administration l’a assignée. C’est une forme d’emprisonnement juridique qui contraint l’étranger à l’immobilisme.

Les sénateurs se sont finalement alignés sur la décision de limiter à 90 jours l’augmentation de la durée de rétention administrative…

Christophe Deltombe C’est de toute façon une aberration quand on sait, au regard des chiffres, qu’au bout de quinze jours on ne procède plus au renvoi de la personne étrangère. C’est, en réalité, une façon d’utiliser la rétention comme une prison visant à sanctionner à titre préventif.

Que penser alors de la proposition du président de la République de créer des « centres fermés » au sein de l’Union européenne pour trier les demandeurs d’asile ?

Christophe Deltombe Cela revient à multiplier les hotspots, comme ceux déjà créés en Grèce et en Italie, dont le Haut Commissariat aux réfugiés a déjà dénoncé l’aspect détentionnaire. On va retenir des gens parce qu’ils demandent l’asile ! C’est absolument contraire à la convention de Genève et même au droit français.(...)

le traitement des demandes d’asile passe par une harmonisation du droit au niveau européen. On voit bien l’échec du règlement de Dublin. Mais il faut que ce soit pris par le haut, en prenant en considération les aspirations de la personne qui souhaite trouver refuge dans tel ou tel pays selon qu’il en parle la langue, qu’il y ait de la famille ou des relais amicaux. La logique actuelle est à l’inverse. La considération pour l’humain est complètement oubliée.(...)

L’hypocrisie domine à tous les étages. La fameuse pression migratoire brandie par les dirigeants européens a baissé de plus de 25 % entre 2016 et 2017. Il n’y a pas de crise migratoire, mais plutôt une crise de l’accueil et de la solidarité européenne. Tout cela rend insupportables les discours sur la submersion tenus par Gérard Collomb pour soutenir son projet de loi. (...)

Si l’extrême droite est aujourd’hui au pouvoir en Italie, la politique de la France à la frontière franco-italienne y est pour beaucoup. Les pays membres de l’Union européenne ont laissé seule l’Italie, ces dernières années, prendre en charge l’afflux de réfugiés. Ils n’ont pas entendu les appels à la solidarité des Italiens. Quand, après cela, on se positionne en donneur de leçon sur l’affaire de l’Aquarius, j’ai du mal à comprendre. Le comportement de la France à l’égard des solidaires est d’ailleurs parlant quand on considère que le délit de solidarité n’a pas été abrogé lors des débats parlementaires sur le projet de loi asile-immigration. (...)

Le gouvernement français pense que pour éviter l’accession au pouvoir de Le Pen, il faut faire du lepénisme. Il faut au contraire, pour faire évoluer l’opinion publique, en finir avec les discours mensongers et le dénigrement. Quand on laisse délibérément pourrir la situation dans des campements de fortune à Paris, on le fait pour faire de l’étranger une personne rebutante, sale, malade et dangereuse(...)

La Cimade est présente dans les lieux où l’on enferme des étrangers depuis 1939. Ses équipes analysent les mesures liées à l’asile pour fournir le meilleur accompagnement possible aux personnes concernées mais également pour interpeller les dirigeants sur le fait qu’un étranger est d’abord une personne humaine qui a sa dignité et ses droits. C’est malheureusement une vision mise, aujourd’hui, en péril par les politiques menées aux niveaux national comme international.