
Lucas, étudiant en environnement, était présent à Sainte-Soline le 26 mars. Pour sa première manifestation de ce genre, il en est venu à jeter des pierres sur les gendarmes. Il raconte l’affrontement.
« Personne n’était préparé à quelque chose d’aussi violent, confie Lucas, 23 ans. C’était hyper choquant. Les gens à qui j’en ai parlé, qui avaient déjà connu ce genre d’affrontement, m’ont dit qu’on ne pouvait pas tenir cinq minutes. Certains avaient des parapluies, mais les grenades, elles explosent les parapluies. La police a envoyé cinq mille grenades en deux heures. On n’a rien pu faire… Certains ont réussi à s’approcher des grillages, à péter le premier barbelé, mais le deuxième, ce n’était pas possible. Tu rentrais là-dedans, c’était la mort assurée. »
Samedi 25 mars, Lucas a suivi les premières banderoles parties à l’assaut du barrage policier qui entourait la bassine, à Sainte-Soline. Il a lancé des pierres devant lui. Il a vu la pluie de grenades, et les personnes blessées alignées sur un chemin de terre.
Lucas savait qu’il y aurait de nombreux policiers. Des grenades, aussi. On lui avait conseillé de se munir de bouchons d’oreille. Mais personne n’imaginait, y compris chez les plus aguerris, le déluge de feu que les forces de l’ordre étaient prêtes à déverser pour protéger un futur plan d’eau. (...)
Pour Lucas, c’est la première manif de ce genre. « Je suis étudiant en environnement, c’est ça qui m’a motivé pour y aller », résume-t-il. La semaine précédente, il a fait une manif sauvage, la première aussi. Après douze heures trente d’autostop, il a rejoint un convoi de quatre-vingts voitures et il est arrivé sur place vers 10 heures. Il avait prévu de retrouver des amis, mais ceux-là avaient rejoint le cortège rose. « Je n’avais pas envie de perdre de l’énergie à les chercher, alors je suis parti avec le cortège bleu. C’était le cortège très vénère. Je me suis retrouvé tout seul. J’écoutais les conversations. On s’attendait à ce que des policiers nous attendent là-bas, à ce qu’il y ait des blessés. Mais le but, c’était d’accéder à la bassine, de planter des drapeaux dessus. Ça ne s’est pas fait au final. »
En plus des bouchons d’oreille, Lucas a des lunettes de ski et un masque FFP2 en tout et pour tout. . (...)
Le cortège avance en plein champ labouré. À l’approche de la bassine, mais encore à distance, les premiers tirs de lacrymos tracent des filets blancs dans l’air. À la surprise générale, des gendarmes s’approchent du cortège en quad.
« Ils ont commencé à nous gazer, mais on était énormément, ils ont reculé. Et le vent était avec nous. Les tambours ont commencé à jouer, j’avais les chaussures pleines de boue. On est encore en mode “ça va”. C’était assez festif. Il y a des gens qui rigolent. »
Les manifestants découvrent que la police a positionné une longue file de véhicules de gendarmerie tout autour de la future retenue d’eau. Au bout du chemin, devant la bassine, un camion blanc fait face à la foule qui approche. C’est un canon à eau des CRS. La foule s’étale dans le champ et commence à longer les camionnettes bleues des gendarmes. (...)
oches. Le camion cramé était à notre droite. On s’est rapprochés de la police, on est face à un camion. »
Soudain, à côté de Lucas, un manifestant est touché. « À deux mètres de moi, une grenade explose. Un gars se tient la tête. Une fille lui prend le visage et lui enlève son masque de ski, et je vois un énorme trou au niveau de son nez. Ça pisse le sang. Il a dû recevoir un éclat. Ils commencent à le porter à quatre, et le mettent au sol. Je fonce en courant vers l’arrière en criant : “Medic !” »
Lucas fait une longue boucle vers l’arrière à la recherche d’un medic. Mais sur le bord du chemin, il découvre un alignement de blessés graves entourés de proches ou de soignants. « À ce moment-là, je vois une grenade éclater à côté d’un blessé et le toucher à la cuisse, ça me rend fou », dit Lucas.
Peu après, il retrouve le manifestant tombé près de lui. Il est entouré et on l’a mis en position latérale de sécurité. Lucas se met en retrait du côté de la butte, à deux cents mètres de la police.
« J’essaye de me calmer, j’enlève mon masque. Physiquement, je n’ai rien. Mentalement, c’est pas possible. Je reste une demi-heure assis comme ça. Des gens me demandent si ça va. Je leur dis : “Je vais y retourner.” On est à trois cents mètres. Je m’approche à nouveau, mais tout le monde recule. »
Les quads ont fait leur réapparition. . (...)
Puis c’est le retour chez lui. Les images qui reviennent. Les affrontements, les blessés, les questions. Poursuivi par l’envie de pleurer ou de crier, il n’a pas repris les cours. Les crépitements d’une casserole, les clignotants d’une guirlande, tout le ramène au « champ de bataille ». « Je me demande dans quel monde on vit, s’interroge-t-il. À la base, on fait un mouvement pour sauver la planète… L’État s’en fout complètement de ce qu’on peut dire. On n’est pas écoutés, et au lieu de ça, la police fait 200 blessés, et tue presque des gens. »
« L’image de cette personne que j’ai vue, avec le sang qui coulait, je la garderai à vie. Ça aurait pu être moi. C’est fou d’en arriver là. »