Malik Allam, 28 ans, a exercé comme adjoint de sécurité pendant deux ans en Normandie. Il décrit un racisme omniprésent, qui a « gangréné » son quotidien professionnel jusqu’à sa démission. Aujourd’hui, il veut contribuer à « libérer la parole » dans l’institution policière.
Cet ancien adjoint de sécurité, d’origine kabyle et martiniquaise, dit avoir affronté le langage raciste et les préjugés islamophobes de ses collègues lorsqu’il était dans la police. Dans un entretien vidéo à Mediapart, il raconte à visage découvert ce qu’il a vécu, lors de sa scolarité à l’école de police de Rouen-Oissel puis au commissariat d’Évreux (dans l’Eure).
Des remarques répétées sur sa barbe, alors bien plus courte. Des propos racistes envers les citoyens, traités (dans leur dos) de « bâtards », « bicots », « bougnoules », « négros », « juifards ». Des surnoms attribués (devant lui) par d’autres policiers : « Oussama », « le terroriste », « S13 » (en référence aux « fichés S »). Des stickers du Front national sur les casiers, un stylo Marine Le Pen pour les contrôles. Et l’escalade qui aurait conduit l’un de ses collègues, un matin, à le mettre en joue avec son arme de service, sans que leur hiérarchie ne donne aucune suite.
Sa démarche est réfléchie, mûrie, les mots pesés. Lorsqu’il retrace sa courte carrière dans la police, de 2014 à 2016, Malik Allam assure qu’il « n’éprouve aucune haine » envers ses ex-collègues, à qui il a « pardonné ». Il regrette juste le « gâchis ». « Si cela ne tenait qu’à moi, je serais encore dans l’institution. Mon objectif suprême était d’intégrer la brigade des mineurs. Je n’ai rien contre la police. C’est un métier nécessaire, louable, très difficile et perverti par les dérives racistes. »
Aujourd’hui âgé de 28 ans, Malik Allam est devenu cadre dans une grande entreprise, en région parisienne. S’il porte un autre prénom à l’état civil, il a préféré être désigné, ici, sous son prénom d’usage. Il espère que son témoignage « aidera celles et ceux qui se trouvent dans une situation similaire » au sein des forces de sécurité et qui souffrent en silence. (...)
De ces quatre mois passés au GSP, où il est le seul agent d’origine maghrébine, Malik Allam garde le souvenir d’une période difficile. Il est alors âgé de 22 ans. « Très vite, au bureau et lors des rondes en voiture, j’ai entendu le mot “bâtard”, pour désigner tous les citoyens masculins de 15 à 30 ans issus d’une cité, quelle que soit leur couleur de peau. Les habitants plus âgés passent dans une autre catégorie : “bicots”, “bougnoules”, “négros”, “juifards”, “bamboulas”. » (...)
L’ancien adjoint de sécurité dépeint une brigade qui s’acharne sur les cités de la ville, pour « faire du chiffre » avec des infractions routières. Pour lui, une grande partie des PV étaient, sinon imaginaires, du moins distribués « selon l’humeur ». Il se souvient, en particulier, des contraventions pour « vitesse excessive eu égard aux circonstances », qui laissent une marge d’appréciation aux agents.
C’est sur les personnes issues de l’immigration, explique-t-il, que ses collègues se concentrent. « Un jour, on a contrôlé un Arabe d’une cinquantaine d’années qui allait au travail, mais n’avait plus d’assurance. Son véhicule a été immobilisé. Mon collègue m’a dit : “Comme ça ce bicot pourra pas nourrir ses gamins.” » Il décrit des fonctionnaires « sans grande intelligence », avec « un côté facho », mais surtout « en roue libre ». « Le racisme dans cette brigade est un secret de Polichinelle. La hiérarchie savait, mais n’agissait pas. »
Malik estime que l’un des fonctionnaires, « un grand Blanc balaise que tout le monde appelait “Shérif” », était particulièrement « problématique ». « ll disait : “On va contrôler ces putains de bicots” ou “Putain, les bougnoules, j’ai envie de me les faire”. Il avait déjà été condamné pour des violences. »
Les insultes racistes trouvent, selon lui, un écho dans les actes. (...)
En tout état de cause, Malik n’a plus connu d’ennuis après son départ d’Évreux. Mais il s’est progressivement éloigné de la police, optant d’abord pour un congé sans solde, puis pour une reconversion. Il a définitivement quitté l’institution en novembre 2016 et aimerait, aujourd’hui, que son message soit entendu. « Tous les fonctionnaires ne sont pas racistes, j’en suis la preuve. Mais l’institution cautionne les exactions de certains fonctionnaires, et il est temps que ça cesse. »