
En Roumanie, l’opposition au libéralisme sauvage qui a succédé au communisme se développe.
« Avant, il n’y avait rien dans les magasins, aujourd’hui, il y a tout mais on n’a pas les moyens d’acheter quoi que ce soit… Sous Ceausescu, mes parents avaient peur de parler, aujourd’hui, on peut tout dire mais personne ne nous entend. La censure politique est terminée, OK, mais elle a été remplacée par la censure économique… » Tu fais partie de « Sauvez Bucarest », une association qui combat ces investisseurs étrangers qui s’emparent et détruisent les splendides maisons années 30 de la ville qu’on appelait alors le « Paris des Balkans ». Le libéralisme, me dis-tu, fait plus de dégât que le communisme : en 1989, Bucarest comptait 3 470 hectares d’espaces verts et aujourd’hui à peine 1 300… Les quartiers populaires sont rasés, des familles expulsées pour construire des buildings de verre fumé et des cafés starbuckisés. (...)
Oh, bien sûr, comme en France, en Grèce ou en Espagne, le pouvoir dirige ses caméras sur quelques vitrines brisées tandis qu’au JT un ministre gronde : la mauvaise image que donnent les émeutiers du pays affectera les bonnes affaires à faire avec l’Ouest, attention ! Mais même si, à la fin de l’hiver, le mouvement de janvier s’essouffle, il se répand dans le pays sous de nouvelles formes : à Cluj, avec ce collectif de « jeunes enragés » (Tînerii maniosi) qui, chaque mois, offrent un repas gratuit à tous sur la place du marché, prétexte à entamer le débat, comme leur magasin ambulant, dans lequel chacun peut prendre ou donner vêtements, casseroles, livres. Ces enragés soutiennent la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (lire page 14), les luttes grecques et aussi ceux et celles qui luttent depuis 2000 à Rosia Montana, en Transylvanie, où une société canadienne, en accord avec l’Etat roumain, projette de créer une énorme mine d’exploitation à ciel ouvert pour en extraire l’or par cyanuration. Un projet pour lequel il faut broyer des montagnes, déplacer mille familles, et anéantir un site archéologique et naturel pour en faire un désert toxique, une catastrophe écologique semblable à celle que créera bientôt Chevron. Cette société prévoit d’exploiter le gaz de schiste dans la région de Bârlad à l’aide d’un procédé (interdit en France) qui empoisonnera durablement les nappes phréatiques. (...)
Au coin de la rue, une affiche annonce un rassemblement à venir : « En 1989, ont-ils donné leur vie pour que nous ayons plus de Coca-Cola et de McDonalds ? Ont-ils donné leur vie pour qu’on devienne les esclaves du FMI ? Sont-ils morts pour que nous nous enfuyions toujours plus loin de cette Roumanie qui ne peut nous offrir une vie décente ? Morts pour que des milliers de personnes âgées dorment dehors et meurent de froid ? Sont-ils morts pour que l’Eglise orthodoxe soit cette affaire prospère qui ne paye aucun impôt à l’Etat ? En 1989, ils ont donné leur vie pour notre liberté. Ce fut leur cadeau de Noël. Qu’avons-nous fait de cette liberté ? »