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Boris Cyrulnik au JDD : "Ne pas rapatrier les enfants de djihadistes est une menace pour notre sécurité"
Article mis en ligne le 17 janvier 2022
dernière modification le 16 janvier 2022

Le célèbre neuropsychiatre exhorte Emmanuel Macron à accepter le retour des 200 jeunes Français et de leurs mères, retenus dans les camps du Nord-Est syrien. Il alerte sur l’appauvrissement affectif causé par la détention et sur le risque collectif d’en faire des "bombes" humaines si on les rapatrie seuls.

Le neuropsychiatre et auteur de 84 ans Boris Cyrulnik , célèbre pour avoir popularisé le concept de "résilience", est aussi un spécialiste de la petite enfance. C’est à ce titre qu’Emmanuel Macron lui avait confié la présidence de la commission des 1.000 premiers jours, qui a rendu ses travaux fin 2020 (...)

Pourquoi plaidez-vous pour le rapatriement des femmes et des enfants de djihadistes retenus dans les camps du Nord-Est syrien ?

Depuis soixante ans je travaille sur l’abandon, les carences affectives chez l’enfant. (...)

J’ai été invité par des avocats et des associations qui travaillent sur les rapatriements de Syrie. L’Unicef les a vus ; le compte rendu de ces rencontres a évoqué pour moi l’état des enfants de Ceausescu.

Quel est le point commun entre ces tragédies ?

C’est l’appauvrissement affectif et sensoriel observé lorsque les trois niches qui permettent le développement de l’enfant sont défaillantes : le ventre – la mère ne doit pas être stressée pendant sa grossesse – ; le foyer – l’enfant doit être entouré par un noyau de 6 à 8 personnes stables – ; et enfin la parole – comment va-t-on évoquer ce qui est arrivé ? La non-stimulation du cerveau crée des atrophies localisées, et une hypertrophie de la zone qui génère des pulsions. Chez le petit enfant, cela se traduit par des colères, qui se muent en incivilités et finissent par coûter très cher à l’État.

Ce sont des personnes chez qui on constate un nombre très élevé de suicides, un gros retard de langage. D’autant plus que dans les camps ils ne sont pas scolarisés ; ils n’auront comme seule expression que la violence.

Que répondez-vous à ceux pour qui ces rapatriements risquent de nourrir la menace terroriste ?

Je pense que c’est tout le contraire. Ne pas les rapatrier est une menace pour notre sécurité. Plus ils restent là-bas, moins ils aimeront la France. Ils sont récupérables si on s’en occupe maintenant.

La doctrine de l’État français est jusqu’ici le rapatriement au cas par cas d’enfants seuls, sans leurs mères. Qu’en pensez-vous en tant que psychiatre ?

C’est tragique. Pour ces enfants, leur mère est la seule base de ­sécurité. Les rapatrier seuls est une agression et un isolement supplémentaire. Ils vont probablement haïr le pays qui leur a infligé cette violence. C’est une fabrique de délinquants, très faciles à récupérer par des idéologies extrêmes. On risque d’en faire des bombes.

Ne pas les séparer de leurs mères changerait tout ?

Oui, ils pourraient déclencher le processus de résilience neuronale. Plus c’est tôt, plus c’est facile. (...)

Je pense que le Président craint que ces enfants rapatriés deviennent des djihadistes. Mais j’affirme que non, et mon idée ne tombe pas du ciel, elle est basée sur des observations scientifiques. Des milliers de travaux permettent d’appuyer ce que je dis, comme ceux de Nelson Zeanah sur les enfants abandonnés de Roumanie. Si on s’en occupe très tôt, ils ne deviendront pas dangereux.