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Boat people : Une vigie sur la Méditerranée
Article mis en ligne le 22 avril 2015

Lancé par Watch the Med (WTM), réseau transnational d’activistes et de migrants ancré sur les deux rives de la Méditerranée, Alarm phone est un numéro d’alerte fonctionnant 24h/24 pour faciliter le sauvetage de clandestins perdus en mer. Newroz, jeune Kurde partie prenante de l’aventure, nous raconte sa propre histoire, ses motivations et la mise en place de ce dispositif de solidarité hors norme.

« C’est mon histoire personnelle qui m’a poussée à m’impliquer, clarifie Newroz derrière l’écran. Je suis arrivée sur la côte italienne à l’âge de douze ans, à bord d’un bateau parti de Turquie. Nous étions 700 passagers à bord, la traversée a duré huit jours, dont les deux derniers sans eau ni nourriture. Nous avons débarqué en plein midi sur la plage d’une station balnéaire. Un hélicoptère tournait autour de nos têtes, la police nous attendait sur le rivage. Drôle de comité d’accueil ! Nous avons été envoyés dans un camp. Pendant un mois, nous avons vécu derrière des barbelés, logés dans des caravanes, avant d’être dispersés en Europe. » Newroz a aujourd’hui vingt-cinq ans et vit en Allemagne. Elle participe à Alarm Phone, un numéro d’urgence destiné à recevoir les appels des boat-people en perdition. Avec Christine, qui traduit, nous lui parlons par Skype. « C’est la première fois que je raconte mon histoire. Je le fais parce que je crois qu’il est important de communiquer autour de ce projet. » Elle jette un regard vers sa mère, assise derrière elle, le foulard noué autour de sa tête. « Je fais des veilles nocturnes une ou deux fois par semaine, par tranches de huit heures. Début octobre, nous avons effectué plusieurs appels test. Puis les premiers appels réels sont arrivés, la plupart de façon indirecte, à travers des amis de migrants en détresse, ou de ce prêtre érythréen basé en Suisse qui les rediffuse aux autorités concernées et aux réseaux militants. » Dans les pays de départ, les associations participantes se chargent de diffuser le numéro d’urgence auprès des migrants candidats à la traversée. « Si les migrants disposent à bord d’un GPS et d’un téléphone satellitaire, ils peuvent nous indiquer leur situation. À partir de là, nous consultons le site d’un réseau professionnel auquel nous nous sommes abonnés et qui te donne en temps réel la position des navires qui croisent à proximité, pour pouvoir les contacter et leur demander de porter secours aux naufragés. Nous n’avons pas de flotte à notre disposition, nous ne pouvons que servir de relais, ainsi que soutenir psychologiquement les désespérés en attente de secours. »

Alarm phone a été lancé le 14 octobre 2014. (...)

L’opération italienne Mare Nostrum, qui visait à limiter les dégâts après la tragédie de Lampedusa du 3 octobre 2013, quand 366 migrants périrent noyés, a été suspendue. Frontex et son opération Triton ont pris la relève. Cette agence européenne à caractère paramilitaire est soupçonnée d’avoir une volonté de refouler et laisser mourir. « L’Europe fait la guerre à un ennemi qu’elle s’est inventé », ont déclaré des ONG pour dénoncer cette mortelle dynamique, que Claire Rodier documente fort bien dans son livre Xénophobie business [1].

« Si on compare nos maigres moyens avec ceux de Frontex, qui traite les migrants en ennemis, c’est peanuts. Mais nous avons la possibilité de dénoncer publiquement leurs agissements. Nous leur faisons savoir que ces gens ne sont plus seuls, qu’ils ne vont pas disparaître corps et âmes sans que personne ne le sache, comme cela arrive trop souvent. » (...)

Fin 2014, en l’espace de deux mois, douze interventions ont eu lieu à la suite d’appels à l’aide répercutés par Alarm phone, avec différents niveaux de détresse et d’abus contre les droits humains. Le 5 décembre 2014, l’association Caminando fronteras, membre de WTM, alerte les sauveteurs espagnols de la dérive d’un zodiac chargé de cinquante-sept personnes au large d’Almería. Les secours ont réussi à ramener vingt-neuf survivants. Huit des neuf enfants présents à bord étaient déjà décédés à leur arrivée. « Nous ne pouvons pas abandonner nos frères et sœurs seuls face à l’hypocrisie d’une Europe qui les attire tout en les repoussant », conclut Newroz d’une voix claire.

L’initiative Alarm Phone vient de personnes participant à WTM dans le cadre du réseau boats4people, et qui en avaient assez de compter les morts et de dénoncer en vain. À la demande de migrant-e-s, des équipes de différents pays ont bossé pendant un an pour tout mettre en place. Le dispositif manque encore de bras (ou plutôt d’oreilles  !) pour les veilles téléphoniques. Avis aux amateur-e-s. wtm-alarm-phone chez antira.info.