
Après la chute de Blaise Compaoré, la mise en place de la transition s’annonce complexe. Des conflits se font jour. La joie éprouvée par la population à l’annonce de la fuite de Blaise Compaoré n’a été que de courte durée. Il faut se rendre à l’évidence, différentes forces s’affrontent pour diriger la transition. Mais pour y voir clair, il est impératif de savoir ce qui s’est effectivement passé les 30 et 31 octobre.
(...) La manifestation du 28 octobre, à l’appel du Chef de fil de l’opposition et des organisations de la société civile fut un extraordinaire succès. Le chiffre d’un million de personnes a été avancé. Il est difficile de le vérifier, alors que la population de Ouagadougou compte 4 millions d’habitants. Le Chef de file de l’opposition avait appelé à la désobéissance civile, sans, semble-t-il donner alors de consigne précise.
Par contre, avec à leur tête les leaders du balai citoyen (voir nos articles précédents), des jeunes ont tenté de camper sur la place, rebaptisée de nouveau place de la Révolution, le nom qu’elle portait pendant la révolution. A la mort de Thomas Sankara, elle est devenue la « place de la nation ». Ils sont rejoints, par un ancien compagnon de Thomas Sankara, le capitaine Boukary Kaboré, en retrait de l’armée. Les forces de l’ordre sont arrivées. Après négociation, les leaders du balai citoyen ont accepté de quitter les lieux pour éviter les violences et sont partis sillonnés la ville pour appeler à la mobilisation. Le lendemain de nouveau ils ont sillonné la ville en caravane appelant la population à se rassembler autour de l’assemblée nationale le 30 octobre, date à laquelle devait être mis au vote, à l’assemblée nationale, le projet de changement de constitution. Et le soir ils se sont de nouveau retrouvés, déterminés à y passer la nuit sur les nattes, à la place des Nations Unies, proche de l’Assemblée Nationale. Ils ont alors été chargés violemment par les forces de l’ordre. Les députés avaient peu à peu été acheminés à l’hôtel indépendance Azalaï, tout proche de l’Assemblée nationale pour qu’ils puissent s’y rendre sans encombre.
De son côté le chef de file de l’opposition, avait publié un communiqué, dans lequel il exigeait au président de l’assemblée nationale de permettre à la population de suivre les débats. L’attention des principaux partis politiques était portée sur la préparation des débats. Ils tentaient de convaincre des députés du CDP ou de l’ADF RDA, partisans du changement constitutionnel de voter contre leur parti. Notons tout de même que le langage est quelque peu différent de la part de Maitre Bénéwendé Sankara, président du Front progressiste sankariste qui dans un communiqué appelle à l’insurrection populaire.
30 octobre l’insurrection populaire
Le jour J, le 30 octobre. La plupart des leaders de l’opposition arrivent à l’Assemblée nationale et se préparent à la séance. Dans la rue des milliers de personnes sont rassemblées place de la révolution. Ils marchent au milieu des forces de l’ordre et de militaires, venus avec des chars légers. Ils sont régulièrement gazés, ce qui ralentit leur progression vers l’Assemblée nationale mais il n’y a pas de tir. Les leaders du balai citoyen sont parmi eux, de même que d’autres organisations comme le collectif anti-référendum. Des forces de l’ordre sont postées tout autour de l’Assemblée nationale pour les empêcher d’approcher. Le défilé puissant s’approche à faible allure, bras en l’air. Les forces de sécurité hésitent, Tirent en l’air puis amorcent un mouvement de recul. Les images existent, impressionnantes. (...)
La voie est libre. La foule s’engouffre dans les locaux de l’assemblée nationale qui vont être mis à sac, puis brulés. Elle se répand ensuite dans les rues et fait le tour des demeures des dirigeants du régime pour y mettre le feu. Puis elle se dirige vers le palais présidentiel. Celui-ci se trouve à Ouaga2000, un récent quartier de la ville, relativement isolé accessible par de grandes avenues. Un long face à face commence. Difficile de savoir exactement ce qui s’est passé. Les informations sont contradictoires. On parle de mercenaires qui parlaient anglais. Une autre source récente m’explique que c’était bien la garde présidentielle qui était là. Les soldats auraient tiré en l’air, mais pas sur la foule. Le nombre de morts serait moins important que celui annoncé. Pour ma part sur facebook je n’ai vu que deux photos de personnes mortes pour l’instant. Le face à face dure plusieurs heures. Une délégation est même reçue par Blaise Compaoré sans que l’on en sache, pour l’instant ce qui s’est passé. Le déroulé de la journée par RFI ne fait mention de tirs vers la foule, seulement qu’une délégation y aurait été reçue vers 15h30. Par contre des tirs auraient éclatés devant le domicile de François Compaoré, par sa garde privée, armée jusqu’aux dents, dans un tout autre quartier de la ville. C’est là que l’on compterait les morts.
En fin de journée la foule se replie vers la place de la révolution scandant le nom de Kouamé Lougué. Celui-ci explique sur RFI qu’il est disponible. (...)
31 octobre l’armée choisit l’un des siens pour la transition
Le lendemain la foule se presse de nouveau place de la révolution. Mais cette fois c’est le départ de Blaise Compaoré qui est à l’ordre du jour. La démission de Blaise Compaoré interviendra en début d’après-midi. Il s’enfuira du pays peu après. On a appris depuis que la France a participé à son exfiltration. (...)
Les militaires se concertent choisissent à l’unanimité, le lieutenant colonel Yacouba Isaac Zida pour gérer la transition. Il viendra le déclarer place de la révolution, avec à ses côté d’avocat Guy Hervé Kam, porte parole du balai citoyen, dans une déclaration rédigée avec des membres de la société civile dans l’après midi. Il proclame la suspension de la constitution et la mise en place d’un organe de transition « en accord avec toutes les forces vives de la nation en vue d’organiser une transition encadrée en vue d’un retour à une vie constitutionnelle normale ». Le général Traoré se rallie publiquement à cette proposition. La journée se termine dans le calme semble-t-il.
Le lendemain à l’appel de Simon Compaoré, ancien maire de Ouagadougou, la population de Ouagadougou se répand dans les rues pour nettoyer la ville, faisant preuve d’un grand esprit de responsabilité. Le lendemain, une déclaration du CFOP, et des OSC (dont la liste n’a pas été publiée) demande la remise du pouvoir aux civils et appelle à une manifestation pour le lendemain. Des incidents éclatent ce jour là, mais nous ne rentreront pas dans les détails. Finalement l’armée intervient, notamment devant la radio télévision, puis place de la révolution. Depuis il n’y a plus d’incidents et le pays est en pleine tractation.
Une transition se met en place
Depuis quelques jours, le pays subit d’intenses pressions de la part de la plupart des institutions internationales, mais aussi de la France et des USA. La seule question qui compte serait le retour au pouvoir des « civils ». On peut s’étonner de ce réveil tardif après des interventions, avant la chute de Blaise Compaoré, plutôt peu incisives. Maintenant par contre il est question de sanction. Sans forcément l’annoncer, une succession de messages fermes incitant Blaise Compaoré à partir aurait peut-être eu un résultat. Par contre, ces pays et institutions internationales ont tous vantés, encore très récemment les qualités d’homme de paix de Blaise Compaoré. Pourtant tous les diplomates connaissent le passé peu glorieux de Blaise Compaoré, impliqué dans les effroyables guerres du Libéria, de Sierra Leone, de Côte d’Ivoire et soutenant des mouvements rebelles au Mali. D’autant plus que, en ce qui concerne la guerre de Sierra Leone, qui n’est qu’un appendice de la guerre du Libéria, il a été de très nombreuses fois cité, lors du procès de Charles Taylor. Aurait-on peur d’un jugement public de Blaise Compaoré qui mettrait à nu toutes les complicités qui l’ont propulsé, comme homme de paix, et soutenu jusqu’au dernier moment ?
La situation semble maitrisée
Les discussions semblent intenses, la consultation très large. Le lieutenant colonel Zida semble donner des signes de bonne volonté. Et puis, ce pays a connu un président militaire, en la personne de Thomas Sankara, qui a bien mieux fait pour son pays que les civils qui s’étaient succédés avant lui. Gageons que ce pays va vers une transition consensuelle apaisée. Et des élections rapides, ce que tout le monde souhaite. (...)
La jeunesse va-t-elle se reconnaitre chez l’un ou l’autre des dirigeants des partis politiques ? Car tout porte à croire que c’est bien au moment des élections que l’avenir du pays va se jouer, maintenant que Blaise Compaoré a été chassé. Mais ne risquent-elles pas de voler au peuple burkinabé sa révolution si le président élu ne connait, pour développer son pays, que les recettes libérales ?