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Bio, en pleine terre... À Plougastel, les fraises font de la résistance
Article mis en ligne le 12 mai 2022
dernière modification le 11 mai 2022

Parmi la quarantaine de producteurs de fraises installés sur la presqu’île de Plougastel, en face de Brest, Benoît et Aude Cuzon sont les seuls cultivateurs à la fois bio et en pleine terre. Un choix cohérent avec l’histoire de cette célèbre fraise, qui pourrait aider à préserver sa spécificité.

À Plougastel-Daoulas, les effluves des fraiseraies font partie du quotidien depuis plus de trois siècles. « L’été, on peut les sentir en se promenant dans les chemins environnants. Elle s’échappe par les côtés des tunnels. En général, c’est bon signe », sourit Aude Burger-Cuzon. (...)

« Nous avons nommé notre exploitation Lapic sivi, en hommage au nom des cabanes utilisées autrefois pendant la cueillette ». Des tunnels sont installés de part et d’autre de cette fraiseraie d’un hectare. Plusieurs variétés — capriss, flair, ciflorette et dream — y poussent bien au chaud sous un parterre de bâches noires aux traits verts en pleine terre et en bio. Un choix qui tranche par rapport à leurs confrères voisins, parmi lesquels 90 % ont choisi le « jardin suspendu », autrement dit, en hors-sol. (...)

Le bassin de Plougastel-Daoulas, berceau de la fraise bretonne, s’étend sur plusieurs communes voisines. Entre 200 et 250 fraisiculteurs y produisent 2 000 à 3 000 tonnes de fraises chaque année. Une grosse partie d’entre eux travaillent sous d’imposantes serres, dont beaucoup sont régulièrement chauffées l’hiver, pour la marque de la Société maraîchère de l’Ouest (SMO), Savéol, également leader du marché de la tomate française.

Une poignée de fraisiculteurs ont choisi la pleine terre, en conventionnel. Et les époux Cuzon sont les seuls installés en bio. Un comble, lorsque l’on se penche sur l’histoire et la tradition locale.

(...) De l’urbanisme à la rotation des cultures

Lorsque Benoît Cuzon a repris l’exploitation de ses parents, il y a plus de dix ans, le petit patrimoine laissé en jachère par ses parents, au début des années 2000, présageait déjà un virage vers le bio. « Il n’y a pas eu besoin de conversion. La plupart des parcelles étaient déjà conformes à l’agriculture biologique. Puis, le simple fait de faire pousser vos fraises en pleine terre correspond au premier critère de l’agriculture biologique, explique le Finistérien. On opère une rotation des cultures avec notre voisin, éleveur de vaches. Cela nous permet de laisser reposer les sols, et d’éviter la présence de champignons, qui pourrait nuire aux fraisiers », ajoute Benoît Cuzon, qui travaillait auparavant dans l’urbanisme, en région parisienne.

(...) Une installation rapide pour ces nouveaux arrivants. Car en presqu’île, le foncier agricole ne fait pas de cadeaux. « Le poids de l’héritage est énorme », analyse Violaine Auffret, du musée de la fraise et du patrimoine de Plougastel-Daoulas. À la fin du siècle dernier, plus de 5 000 propriétaires se partageaient 18 000 parcelles. Le tiers des terres cultivables se trouvait en friche. « Suite au vieillissement des producteurs et à l’exode rural des jeunes, un plan de relance de la fraise a été établi au milieu des années 90. Cette opération d’aménagement foncier, qui prévoyait notamment d’étendre la culture au sud, a été mal accueillie. Elle n’a rien donné », reprend la médiatrice.

Beaucoup de producteurs, selon leurs mentalités et leurs objectifs, se sont tournés vers le hors-sol, qui ne demande pas de travailler la terre. (...)

« Nous n’avons pas la même vision des choses, c’est sûr, reprend Aude Burger-Cuzon. Mais ce n’est pas pour ça que nous ne pouvons pas cohabiter. Ni même échanger. » (...)

Bien loin des 2 800 tonnes annuelles de fraises commercialisées par Savéol, la petite exploitation Lapic Sivi produit un peu plus de dix tonnes de ses variétés par an. Les fraises biologiques garnissent les étals des Biocoop de la région brestoise, de certains supermarchés, des marchés locaux, mais aussi de leur point de vente, situé un peu plus haut, où ils vendent leurs produits en même temps que leurs amis producteurs de pains, de fromages ou encore de légumes, chaque vendredi après-midi.
Geais, merles et coccinelles (...)

Chez Lapic Sivi, mis à part l’apport d’intrants organiques dans le sol, aucun produit phytosanitaire n’est utilisé. Au départ, le couple misait sur le pyrèthre pour lutter contre les invasions. « On utilisait cette fleur comme insecticide naturel, avant l’introduction d’insectes auxiliaires. » Il arrive tout de même au couple de tricher un peu… En bio ou en conventionnel, les plants sont passés au froid artificiel, avant plantation. « Les fraisiers ont besoin d’un quota d’heures en température basse l’hiver. Il s’agit d’une période de dormance, avant qu’ils soient plantés, puis bâchés un peu plus tôt. On a des fraises un peu plus rapidement que prévu. » (...)

Suite à la commercialisation de fraises espagnoles sous le nom de « Fraises de Plougastel », une trentaine de producteurs de la presqu’île finistérienne s’est insurgée. Ils viennent d’envoyer un dossier à l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inoa), dans l’espoir d’obtenir une indication géographique protégée (IGP), d’ici la fin de l’année. Et ce n’est pas le hors-sol, bien loin des pratiques du terroir, qui fera gagner les fraisiculteurs. (...)