
Des soignantes sont obligées de travailler en sous-effectif dans un Ehpad, leur direction les sanctionne
Sophie est aide médico-psychologique dans un établissement pour personnes âgées (Ehpad). Une veille de Noël, elle et ses collègues soignantes apprennent qu’elles seront en sous-effectif pour s’occuper des résidents et sont invitées par leur hiérarchie à faire « au mieux ». Un an plus tard, elles sont sanctionnées et rétrogradées par leur direction. Voici pourquoi. (...)
« Je vais voir l’effet de la sanction sur mon bulletin de salaire de juin. Ce n’était déjà pas beaucoup ce que je gagne, ce sera encore un peu plus difficile. » Sophie Dufaud est aide médico-psychologique (AMP) dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) à Riantec, dans le Morbihan. L’établissement dépend de l’hôpital de la commune. Sophie y travaille depuis 1992. « J’ai commencé comme agent de service hospitalier, puis j’ai suivi la formation pour devenir aide médico-psychologique », rapporte-t-elle.
Mère de famille, elle travaille à 80%, pour 1500 euros nets par mois. Depuis ce mois de juin, elle a perdu 130 euros par mois de salaire. C’est le résultat d’une sanction : le directeur du groupe hospitalier a décidé que Sophie devait perdre six échelons d’ancienneté ! Après plus de 25 ans de travail dans l’établissement, elle se retrouve presque au même niveau de salaire qu’une débutante, sans possibilité de récupérer totalement son ancienneté par la suite. Sa retraite s’en trouvera réduite.
Qu’a fait Sophie ? Sa « faute » est d’avoir, alors que son équipe était en sous-effectif suite un arrêt maladie, « fait au mieux », comme leur avait alors demandé au téléphone le cadre administratif de garde du groupe hospitalier. C’était fin 2017, juste avant Noël, le 23 décembre. Une collègue souffrante n’était pas remplacée ce matin-là. Sophie et les autres agentes de l’équipe assurent alors en priorité les toilettes des résidents, les petits déjeuners et les déjeuners. Et les habillent avec des tenues dites « médicalisées », des chemises de nuit, qui sont plus rapides et plus faciles à mettre aux personnes âgées. Les résidents qui sortent de leur chambre pour les animations ont aussi un plaid sur les genoux et des gilets. À la fin de son service, Sophie, qui est syndiquée à la CGT, remplit en son nom une fiche d’événement indésirable, pour signaler le dysfonctionnement.
Une soignante privée de salaire pendant six mois, sur simple décision du directeur
Un an plus tard, en mars 2019, Sophie et ses collèges passent en entretien pré-disciplinaire. Trois d’entre-elles sont ensuite convoquées à un conseil de discipline. Pour la direction de l’hôpital, leur comportement ce 23 décembre 2017 – avoir vêtu des résidents de chemises médicalisées, en avoir laissé d’autres au lit, faute de personnel en nombre suffisant – n’a pas respecté la dignité des résidents, et relève de la maltraitance. (...)
La direction du groupement n’a pas répondu à nos demandes d’entretien. Mais dans un courrier du 11 juin aux secrétaires des sections syndicales de la CFDT, de Sud et de la CGT (que Basta ! a pu consulter), le directeur conseillait aux agentes de lui soumettre un « recours gracieux » : « Je vous rappelle qu’il existe des voies de recours. Dont le recours gracieux auprès de l’autorité qui a pris les sanctions, c’est-à-dire moi-même », écrit-il. Les soignantes ont préféré faire appel à un avocat pour demander l’annulation des sanctions devant le tribunal administratif. Une demande en référé (en urgence) est déposée pour l’infirmière suspendue pendant six mois. Dans son ordonnance, le juge des référés a considéré la sanction disproportionnée, ordonné la réintégration de l’agente, et demandé que la direction lui verse 1000 euros au titre des frais d’avocat. L’affaire doit encore être jugée sur le fond.
Une quatrième agente de l’Ehpad, une infirmière représentante de la CGT au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), est sanctionnée en même temps que ses collègues pour avoir dit un jour de manière jugée trop autoritaire à un jeune salarié qu’il ne devait pas travailler plus de douze heures d’affilée, alors qu’il réalisait une journée de travail de plus de treize heures. Elle a été dégradée de deux échelons.
Des procédures d’exception qui deviennent de plus en plus fréquentes (...)