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Barrage républicain : chronique d’un naufrage collectif
Article mis en ligne le 7 mars 2021

Bon nombre d’électeurs de gauche sont aujourd’hui rétifs à faire barrage si le second tour de la présidentielle met à nouveau en scène un duel entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron.

C’est le quotidien Libération qui, dans un dossier fouillé, a mis en lumière cette petite musique que beaucoup entendent depuis déjà des mois. Et c’est peu dire que le débat soulevé est explosif. Comment ne plus souhaiter faire barrage ? Peut-on décemment expliquer les raisons d’une telle défaite républicaine ? Si Emmanuel Macron a évidemment des torts, il faut aussi tenter d’explorer l’état de la gauche pour éclairer ce phénomène. (...)

Tout a commencé par une grande promesse. Celle du dépassement : dépassement des clivages politiques, des fractures partisanes, des blocages institutionnels... Une lueur d’espoir dans une Cinquième République chancelante qui n’en finit pas d’épuiser des présidents au soir d’un seul et unique quinquennat. Dès lors, il faut se souvenir de l’incroyable énergie de cette campagne, de cette grande marche pleine de promesses qui allait au-devant des Français pour recueillir leurs espoirs, et qui, à grand renfort de « helpers », promettait une place à chacun. (...)

Pourtant, la perspective même d’un second tour avec Marine Le Pen était déjà ancrée. Contrairement au 21 avril 2002, point d’effet de surprise. L’enracinement est là, et les désillusions d’une partie des électeurs leur font préférer l’abstention à des bulletins toujours déçus.

C’est dans l’exercice du pouvoir que les promesses s’éteignent et ce, dans les premières semaines du quinquennat.

(...)

Septembre 2019 : les aides au logement, APL, sont réduites de 5 euros. Le même mois sont décidés la suppression de l’ISF et son remplacement par un impôt sur la fortune immobilière, qui exclut les placements bancaires et financiers et les liquidités. Quelques mois plus tard, c’est l’humiliation des maires et habitants des quartiers populaires via l’enterrement du plan Borloo, pourtant commandé par le chef de l’État, puis les très critiquées réformes des retraites et de l’assurance chômage... Petit à petit, le barycentre qui devait être « en même temps », de droite et de gauche, apparaît déséquilibré. Emmanuel Macron est très vite estampillé « président des riches ».

Au-delà des réformes, ce sont aussi les petites phrases, à la fois humiliantes et stigmatisantes, distillées au gré des déplacements et des coups de com’ hasardeux, qui finissent de consommer la rupture entre le chef de l’État et le peuple de gauche.
L’arrogance jupitérienne

Le besoin de disrupter, de bousculer, est un continuum chez Emmanuel Macron. (...)

« Pour bon nombre des électeurs qui ont voté pour faire barrage au RN, celui qui fracture, c’est aujourd’hui Emmanuel Macron. »
Chloé Morin, politologue
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La question des valeurs est aussi centrale dans le sentiment de trahison des citoyens à gauche de l’échiquier politique. De la répression du mouvement des « gilets jaunes » aux violences policières, de l’article 24 de la loi « sécurité globale » au débat sur l’islamo-gauchisme, les griefs sont nombreux. (...)

« Beaucoup ne font plus la différence entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, affirme Chloé Morin. Les polémiques sur l’islamo-gauchisme ont été lancées par Frédérique Vidal et Jean-Michel Blanquer. La mise sur agenda de la notion d’ensauvagement a été portée par Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur. En somme, pour bon nombre des électeurs qui ont voté pour faire barrage au Rassemblement national, l’agitateur, celui qui fracture, c’est aujourd’hui Emmanuel Macron. » (...)

De facto, les Français expérimentent le barrage républicain depuis plus de trente ans, et se savent aujourd’hui dans une impasse démocratique.

Pourtant, elle relève parfois de la véritable stratégie politique, y compris au sein du jeune mouvement de La République en marche. (...)

Pourtant, peut-on blâmer Emmanuel Macron seul dans cette désillusion démocratique ?

Non. Car la gauche a cessé de faire rêver depuis déjà longtemps.

Depuis l’avènement de la troisième voie de Tony Blair, Bill Clinton et Gerhard Schröder, une partie de la gauche de gouvernement s’est convertie au social-libéralisme, quitte à oublier, voire sacrifier les classes populaires et son combat contre les inégalités, dans une perspective pragmatique et gestionnaire, malgré les ravages d’une mondialisation peu protectrice des individus. (...)

« Quand je suis arrivée à Matignon en 2012, nous avons fait un sondage qualitatif dès le mois de juin, raconte Chloé Morin. On a étudié qui avait voté François Hollande au premier et second tours. Beaucoup d’électeurs disaient : “C’est la dernière chance, si la gauche échoue, il ne faudra plus venir nous chercher.” Nous étions déjà arrivés au bout du système, car cela faisait longtemps que nous vivions une alternance stérile, et que la gauche et la droite se ressemblaient. » (...)

force est de constater qu’à quatorze mois de l’élection présidentielle, les partis de gauche restent atomisés et semblent encore incapables de converger, alors qu’ils ne représentent guère qu’un socle de 28% des intentions de vote, contre 44% en 2012. Si les prétendants sont nombreux, le déficit d’incarnation et de lisibilité du projet de société reste un véritable obstacle pour consolider un électorat. « Quelle est la France que veut construire Anne Hidalgo, Yannick Jadot ou Jean-Luc Mélenchon ? Peu de Français sont capables de l’expliquer », affirme Mathieu Gallard. (...)

« La responsabilité est vraiment collective, parce que les logiques à l’œuvre sont désormais celles d’appareils politiques en compétition depuis 2017, et non plus en coopération, analyse Christian Paul. Le PS n’est plus le vaisseau amiral, Jean-Luc Mélenchon n’est pas en mesure de rassembler comme il y a cinq ans. Nous devrions mettre en place une coopération, mais comme il n’existe pas de leadership, alors chacun se dit qu’il a vocation à l’incarner. » Selon lui, le risque est double : si la gauche se présente atomisée à la présidentielle, certains électeurs disent déjà qu’ils s’abstiendront dans un vote sanction contre les partis, quitte à mécaniquement gonfler le score du Rassemblement national.

« La clé, c’est une véritable offre politique différenciée, une vraie différence entre droite et gauche ! assène Chloé Morin. La base, c’est l’offre politique. Si la gauche en est là aujourd’hui dans les intentions de vote, c’est que de nombreux électeurs pensent qu’elle n’a rien à dire. » (...)

il ne faudra certainement plus compter sur une partie des électeurs de gauche pour prendre leur responsabilité et faire barrage. C’est désormais au tour des partis d’être responsables.