
Le métier de la banque est trop essentiel à l’économie pour être laissé entre les mains du secteur privé, il est donc nécessaire de socialiser le secteur bancaire (…) et de le placer sous contrôle citoyen.
Roger Goddin, 15 août 2014
livre « Bancocratie » d’Éric Toussaint débute par le rappel de la crise de 2007-2008. Il en donne les causes immédiates (les subprimes), mais plus encore les causes lointaines, qui tiennent à l’instauration depuis plus de trente ans du capitalisme néolibéral. Entendez une économie dans laquelle la part de richesse dévolue aux travailleurs et aux allocataires sociaux s’est rétrécie au bénéfice de celle que possèdent les détenteurs de capitaux – ce qui, par ailleurs, a littéralement fait exploser la taille des plus grandes banques. Mais aussi un capitalisme largement dérégulé dans lequel la plupart des garde-fous instaurés à l’époque de Roosevelt ont été jetés aux orties.
La liberté a dès lors été offerte aux banques de s’endetter massivement (ce que l’on nomme l’effet de levier) pour accroître leurs moyens de réaliser des bénéfices supplémentaires… au risque, lorsque la conjoncture se retourne, de voir ces banques se trouver en situation de faillite. Mais, sauf exception, il n’y a pas de faillite bancaire car, lorsque les banquiers font des bêtises, les États sont là pour injecter l’argent de la collectivité dans les comptes des institutions financières défaillantes.
C’est que ces grandes banques, comme indiqué dans le titre du livre, disposent bien plus qu’hier d’un pouvoir exorbitant. (...)
Mais surtout ces grandes banques disposent de la quasi impunité, elles peuvent à peu près tout se permettre. Leur taille considérable les rend non seulement Too Big to Fail (trop grandes pour pouvoir tomber en faillite) mais aussi Too Big to Jail (trop grandes pour pouvoir être condamnées en justice).
Le blanchiment d’argent du crime organisé, l’organisation de la fraude fiscale à grande échelle, la manipulation de taux d’intérêt, le financement d’activités condamnées par le droit international sont quelques-uns des délits que peuvent commettre les grandes banques ; lorsque la justice se décide à intervenir, l’affaire se conclut presque toujours par le paiement d’une amende d’un montant très largement inférieur au préjudice subi par la société dans son ensemble ; les dirigeants de ces banques ne risquent, eux, quasiment rien… hormis le fait de bénéficier de bonus supplémentaires !
En guise d’avertissement, Éric Toussaint a noté : « En écrivant ce livre, je souhaitais donner à des femmes et des hommes qui ne font pas partie des hautes sphères de la banque et des institutions politiques des moyens pour comprendre ce qui se passe dans le monde opaque de la banque privée, des banques centrales, de la Commission européenne, des lieux où se prennent des décisions fondamentales qui affectent les conditions d’existence de l’immense majorité de la population mondiale ».
Pari tenu. (...)
Mais Éric Toussaint ne se borne pas à dépeindre le lugubre spectacle offert par le fonctionnement des banques en ce 21e siècle. Il propose aussi toute une série de mesures alternatives afin que le secteur bancaire « soit soumis aux règles d’un service public et [que] les revenus que son activité génère [soient] utilisés pour le bien commun ». Plus largement, les propositions avancées visent à remplacer l’Europe du fric et des nantis par une société au service du plus grand nombre.