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Avec une catastrophe nucléaire, l’imaginaire aussi est détruit
Fabien Grolleau et Ewen Blain - Naoto, le gardien de Fukushima - Editions Steinkis - 19 €
Article mis en ligne le 26 mars 2021
dernière modification le 25 mars 2021

Le 11 mars 2011, la terre tremble au large des côtes du nord-est du Japon, entraînant un tsunami qui assaille la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. En mai 2011, les autorités ordonnent d’abattre les animaux restés dans la zone évacuée. Naoto Matsumura décide de rester et de s’occuper d’autant d’animaux qu’il pourra.

Son histoire est dessinée par Fabien Grolleau et Ewen Blain.

« J’avais trouvé ça complètement « science-fictionnel », dingue que ce soit notre réalité, que tout d’un coup, un coin du monde soit presque passé dans un univers parallèle, en étant presque retiré du monde. Je suis né en 1972, donc Tchernobyl ça a été un souvenir fort aussi. Et quand ça s’est reproduit à Fukushima, on était choqué ! Ça recommence à Fukushima, combien il va y en avoir des accident nucléaires ? Alors quand je l’ai vu lui, Naoto, qui se tenait droit, nourrissait des autruches… Elle est dingue cette histoire, complètement dingue. Cette photo était très belle. Voilà comment m’est venue l’idée. Et ça faisait longtemps que je voulais parler des animaux, beaucoup d’éditeurs m’en dissuadaient parce que les animaux « c’est pour les enfants » ! (Aujourd’hui j’en rigole un peu parce que je trouve ça assez pathétique.) Ça me faisait beaucoup de sujets qui m’intéressaient sur une seule histoire. Ça a fait tilt ! » (...)

En voyant les dessins d’Ewen, il trouve la patte avec laquelle il voulait raconter cette histoire. « Ce sujet, on pouvait le traiter de deux façons ; une façon noire, réaliste, plus brutale, avec des images de science fiction… Ce n’est pas du tout ça que je voulais. Je voulais un dessin qui soit presque à l’opposé de ça, qui compense l’horreur de cette histoire, un dessin qui soit poétique, onirique… Alors en voyant les dessins d’Ewen je me suis : "c’est ça, voilà !" Après évidemment, j’ai été surpris à chaque page ! » Avec cette idée en tête, et un dessin assez rond, auquel on reproche parfois d’être trop « jeunesse » justement, Fabien y voit au contraire une force. C’est « le contraste avec une histoire qui peut être dure mais qu’on traite pour tout public. Si on l’avait traité réaliste, on aurait raté quelque chose, il y aurait eu une forme d’indécence quelque part, morale. Il fallait vraiment faire un pas de côté, aller vers l’onirisme car c’est une sujet extrêmement grave et lourd. C’est presque un genre de politesse presque ! »

Onirisme et résistance

Ewen poursuit : « On ne voulait ne pas faire quelque chose de plombant dans la dureté, mais plutôt s’en échapper à travers la poésie et l’onirisme, pour pouvoir faire quelque chose d’optimiste, qui dise « on ne peut pas se permettre de rester avec quelque chose de si noir ». On a essayé de montrer une fenêtre de sortie intéressante. Et c’est ce que montre Naoto : c’est quand même un mec qui vit dans la zone la plus irradiée du monde, il va raccourcir sa vie en décidant de rester et il apporte un message très importante sur la cause animale, le nucléaire, et devient un symbole. C’est très intéressant de voir cette résistance aussi. Toute personne qui vit cela se dit « bon, je me casse ». C’est ce qu’il a fait au départ, mais il est revenu. Il a refusé ce qui s’imposait à lui, il est revenu. C’est une vrai résistance. » Pour les auteurs, si leur BD est souvent vue comme optimiste, c’est aussi grâce à son personnage éponyme. L’adjectif qui le qualifie le mieux ? « Solaire ! Sa force dépasse l’horreur de la catastrophe, elle dépasse les idées qu’on pourrait avoir sur le nucléaire. Il ressort quelque chose de ce personnage qui touche les lecteurs, qu’ils peuvent voir comme de l’optimisme ! » (...)

Une forme de résilience donc que l’on retrouve aussi dans le respect de la vie animale. (...)

J’ai écrit la BD mais les mots de Naoto lui appartiennent », explique Fabien Grolleau. « Quand il parle du nucléaire, c’est à partir d’interview que j’ai compilées, ce sont ses mots. C’est lui qui nous fait un avertissement : « quand ça arrivera chez vous, vous perdrez tout ». Ce sont ses mots, ce n’est pas moi qui me cache derrière lui. »

Tout perdre, y compris l’imaginaire

Le respect de la vie, a fortiori de la vie animale est très présente dans les mythes et contes japonais. Fabien rappelle : « Dans son livre Antonio Pagnotto explique justement l’importance de la spiritualité au Japon et évidemment pour Naoto, donc le respect de l’animal. Quand un lieu est attaqué, l’imaginaire et la culture qui vont avec aussi sont attaqués. Donc c’était important de représenter les mythes attaqués. C’est comme ça qu’est venue l’idée. Même graphiquement il y a de l’inspiration, car dans la culture japonaise il y a les estampes, les représentations dans les mangas qui viennent également d’une tradition... On a un peu fait notre Japon à l’européenne mais qui s’inspire du Japon qu’on apprécie tous les deux ! » Dans cet album, le lecteur reconnaîtra d’ailleurs sûrement aisément de nombreuses références à des oeuvres japonaises ! (...)

Aujourd’hui, dix ans après l’accident nucléaire de Fukushima, il faut toujours arroser les réacteurs de la centrale pour stabiliser leur température. La zone d’évacuation s’étend encore sur plus de 300 km2. Naoto Matsumura est devenu un militant anti-nucléaire infatigable et est même venu manifester jusqu’en France pour la fermeture de la centrale de Fessenheim. En France, pays du nucléaire, où nous ne sommes pas à l’abri d’un accident malgré les alertes émises après Fukushima. Mediapart révélait par exemple en 2018 un document listant tous les événements augmentant le risque de fusion du coeur des réacteurs des centrales nucléaire (comme à Fukushima). Sans oublier que les actes malveillants ne sont malheureusement pas à ignorer alors que des failles de sécurité ont été mises à jour par Greenpeace.

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