
Les vingt dernières années ont vu les droits des femmes accéder au statut de droits humains fondamentaux. Dans le même temps, le recours à l’intervention humanitaire armée[1],
suite en réaction à certaines violations des droits de l’homme a fait l’objet d’un consensus et d’un soutien de plus en plus larges, aussi bien dans les milieux conservateurs que libéraux (au sens américain du terme). Les conservateurs ont mobilisé le discours des droits de l’homme, et même des droits des femmes, pour légitimer leurs appels à l’intervention militaire, pendant que les libéraux, de leur côté, ont adopté la rhétorique et le discours des militaires pour manifester leur engagement dans la défense de ces mêmes droits.
(...) L’hypothèse explorée ici est que les féministes ont joué un rôle actif dans cette évolution du droit et du langage des droits de l’homme dans l’ensemble du champ politique. Ainsi, pratiquement aucune militante des droits des femmes ne s’est opposée à l’intervention américaine en Afghanistan, ni à l’utilisation faite à cette occasion des droits des femmes pour légitimer l’invasion[2]
Et parmi les militantes qui prônaient une intervention en Bosnie pour mettre un terme à ce qu’elles avaient baptisé un « viol génocidaire », certaines ont tenté de se concilier aussi bien le camp des conservateurs que celui des libéraux défenseurs des droits de l’homme
Ce soutien et ces sollicitations à l’usage de la force militaire pour la défense des droits des femmes ont contribué, dans les années 1990, à l’émergence d’un nouveau consensus sur la question de l’intervention humanitaire. (...)
L’idée selon laquelle détruire des vies et des infrastructures serait un moyen de manifester son intérêt pour tel pays ou telle situation est cependant très discutable – comme l’est la « mentalité de crise » justifiant toute intervention destinée à assurer la protection des droits de l’homme. Cette focalisation sur la « crise » conduit souvent à dénaturer la réalité des préjudices subis et se substitue à une véritable réflexion sur la part de responsabilité que les interventions militaires, mais aussi non-militaires – à travers, par exemple, le colonialisme, l’aide économique et militaire – portent dans la création des crises. Le droit international lui-même a laissé faire, sinon facilité, de telles interventions.
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