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Mediapart
Aux États-Unis, les féministes créent un réseau clandestin pour des pilules abortives
#femmes #avortement #IVG #USA
Article mis en ligne le 10 avril 2023
dernière modification le 8 avril 2023

Depuis que la Cour suprême est revenue sur le droit constitutionnel à l’avortement, des militantes féministes installées dans les États ultra-conservateurs tentent de faire parvenir des pilules abortives aux femmes les plus vulnérables. Quitte à braver la loi.

McAllenMcAllen (États-Unis), Reynosa (Mexique).– À la frontière, l’ambiance est festive. Devant les magasins noirs de monde, les chariots de grillades fument. La musique tourne à fond. Il suffit cependant de dire « misoprostol » pour que les regards se détournent. « Ah non, non, nous n’en vendons pas. »

En insistant un peu, un bon samaritain conduit les client·es vers une impasse à l’abri des regards. Au Mexique, le misoprostol se vend en pharmacie, sans ordonnance. On en trouve entre 29 et 100 dollars. « Pour toi, je peux te le faire à 75 », tente un vendeur. « Allez, 65 », insiste-t-il.

Recommandé dans le traitement des ulcères de l’estomac, le misoprostol est utilisé sous le manteau depuis les années 1980, partout où l’IVG est interdite, par les femmes qui souhaitent mettre un terme à une grossesse non désirée. Longtemps, les Américaines n’ont pas eu à s’en soucier. Jusqu’à ce la Cour suprême des États-Unis abroge en juin 2022 l’arrêt « Roe v. Wade ».

Jusqu’ici considéré comme un droit constitutionnel outre-Atlantique, l’avortement est devenu illégal dans une dizaine d’États américains, en particulier du Sud-Est. Depuis, un réseau d’entraide, souterrain, s’est organisé. Formé par des militantes féministes, il se charge de faire parvenir des pilules abortives aux femmes les plus vulnérables, dans les États ultra-conservateurs des États-Unis. Au risque, pour ces militantes, de finir derrière les barreaux. (...)

« Le plus dur, ce n’est pas de dissimuler les pilules à la frontière. Je n’ai pas le profil qui, d’habitude, attire l’attention », confie Abigaïl*, une retraitée américaine « insoupçonnable ». Son sourire, prudent, laisse transparaître le plaisir de la bravade, l’appel à la désobéissance. Il arrive qu’Abigaïl serve elle-même de mule, qu’elle aille récupérer au Mexique en personne les pilules abortives, confie-t-elle à Mediapart. Selon son décompte, elle a fait une « trentaine de pharmacies » le long de la frontière.

Abigaïl reconnaît d’emblée que son action n’est pas « parfaite », mais « que font les démocrates ? Ils sont inutiles », estime-t-elle. Avec un risque d’infection ou de saignements inférieur à 1 % selon les plus récentes études, les pilules abortives sont « sans danger », poursuit Abigaïl. Et de railler : « Il y a bien plus d’effets secondaires avec le Viagra ! »

Un juge fédéral interdit la prescription de la mifépristone (...)

Aussitôt, à Washington, un second juge fédéral, quant à lui progressiste, a à l’inverse décidé de maintenir la mifépristone dans les rayons. Dans les États démocrates, les pilules abortives sont aujourd’hui disponibles via une simple téléconsultation. (...)

En Louisiane, pratiquer sciemment un avortement médicamenteux peut conduire à des peines allant jusqu’à cinq ans de prison. Dix ans dans l’Oklahoma. Au Texas, envoyer des pilules abortives par courrier est devenu un délit punissable de deux ans d’emprisonnement. Cinq ans dans le Mississippi où l’on peut également être inculpé pour racket, un chef notamment réservé aux parrains de la mafia.

Ailleurs dans le pays, l’accès aux pilules abortives a été considérablement restreint. Dans quinze États, un médecin doit administrer les pilules en personne. (...)

Contrairement aux groupes internationaux, à l’image d’Aid Access, qui facturent 90 dollars la procédure en téléconsultation, Verónica Cruz livre les pilules abortives gratuitement grâce aux subventions qu’elle reçoit ou encore aux dons.

Elle contrôle la qualité des pilules en se fournissant directement auprès d’industriels, en Inde, où elle achète les comprimés à 1,50 dollar la dose. Depuis le Mexique, les pilules sont acheminées par des volontaires et distribuées aux destinataires finales en main propre ou par courrier, en utilisant des adresses de biens actuellement mis en vente ou via des intermédiaires de proximité : des militantes féministes, des infirmières et même des prêtres, rapporte la presse américaine. (...)

Interrogée par Mediapart sur les risques qu’elle encourt, Verónica Cruz, avec son franc-parler, n’hésite pas une seconde. « Nous ne pouvons pas rester paralysées, explique-t-elle. Évidemment, il y a beaucoup de menaces, mais si nous les laissons aller vers la restriction de toutes nos libertés, alors nous sommes foutues. » (...)