
Cet astrophysicien du laboratoire de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble, auteur de nombreux livres dont « Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité », dénonce l’urgence à laquelle nous devons tous faire face. Il y a quelques jours, Fatih Birol, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie a déclaré à nos confrères du Guardian que le monde disposait de 6 mois pour éviter la crise climatique. Ma question est simple : n’est-il pas déjà trop tard ?
Je pense que cette question, de savoir ou non s’il est trop tard, n’a aucun sens pour la raison suivante : il est trop tard pour quoi ? Si on se demande s’il est trop tard pour éviter tout problème, bien-sûr qu’il est trop tard ! De façon absolument certaine, nous avons déjà tué l’essentiel des populations d’animaux sauvages, nous avons déjà tué l’essentiel des insectes, nous avons déjà ratiboisé l’essentiel des forêts, nous avons déjà vidé une grande partie des océans, déjà un grand nombre de pays sont dans une situation de stress hydrique fort ou extrême et on commence à voir apparaître des réfugiés climatiques et des pandémies.
Si la question est donc « Est-il trop tard pour que tout aille bien ? », la réponse est évidemment oui ! Il n’y a aucun doute là-dessus. Mais si la question est « Est-il trop tard pour que la vie perdure ? », la réponse est évidemment non. La vie va très probablement continuer.
Mais dire « Il est trop tard », c’est faire comme si la crise climatique était binaire. Cela ne se passe pas comme ça, il y a une gradation continue entre « Tout va bien » et « Tout s’arrête »... ce qui est peu probable, je ne pense pas que les scorpions ou les araignées vont disparaître par exemple. (...)
(...) Souvent, je crois que ce qui est sous-entendu dans cette question c’est « Est-il trop tard pour que l’Humanité subsiste ? » Si on prend la Seconde guerre mondiale par exemple, elle n’a pas fait disparaître l’humanité et pourtant ce fut une catastrophe sans nom ! Ce fut une des pires choses de l’Histoire bien que l’humanité n’aie pas disparu ! Que l’humanité perdure ou non ne me semble pas être la question cardinale. (...)
il est vrai que lorsque l’on fait face à une épidémie mondiale, on consulte les médecins et on applique leurs recommandations, sachant qu’ici les recommandations étaient parfois divergentes, il n’y avait pas d’unanimité.
Bien qu’il y ait des avis d’experts extrêmement différents les uns des autres, ils ont été quand même dans une large mesure suivis. Ce qui est très étonnant par rapport à la catastrophe écologique c’est que les analyses sont dans ce cas beaucoup plus unanimes, il y a beaucoup moins de différences et de divergences... et pourtant les recommandations ne sont pas du tout suivies !
Cette constatation est très étrange quant à ces deux crises, sanitaire et écologique. La seconde est bien pire et les experts sont beaucoup plus unanimes. Pourtant, dans le premier cas on suit les recommandations et dans le second cas on ne les suit pas. C’est incompréhensible et très grave…
Le deuxième niveau que je voudrais souligner est qu’il ne faut pas considérer seulement la parole scientifique. Il est vrai que les scientifiques savent projeter les évolutions de températures, de CO2 etc. Il faut donc les écouter, il n’y a aucun doute là-dessus. Mais il faut bien comprendre que la question à laquelle on fait face n’est pas une question prioritairement scientifique mais une question politique. Il y a ici des gens qui pensent qu’il n’y a aucun problème à avoir 5°C de réchauffement climatique car de toute façon en France on est riches, on mettra l’air conditionné, les forêts on s’en fout, les oiseaux on s’en fout : tant que l’on peut continuer à manger des hamburgers dans des pièces climatisées, il n’y a aucun problème.
Le problème est donc politique et éthique : il s’agit de savoir dans quel monde nous voulons vivre et ça, nous ne pouvons pas le déléguer aux seuls scientifiques.
(...)
il est vrai que lorsque l’on fait face à une épidémie mondiale, on consulte les médecins et on applique leurs recommandations, sachant qu’ici les recommandations étaient parfois divergentes, il n’y avait pas d’unanimité.
Bien qu’il y ait des avis d’experts extrêmement différents les uns des autres, ils ont été quand même dans une large mesure suivis. Ce qui est très étonnant par rapport à la catastrophe écologique c’est que les analyses sont dans ce cas beaucoup plus unanimes, il y a beaucoup moins de différences et de divergences... et pourtant les recommandations ne sont pas du tout suivies !
Cette constatation est très étrange quant à ces deux crises, sanitaire et écologique. La seconde est bien pire et les experts sont beaucoup plus unanimes. Pourtant, dans le premier cas on suit les recommandations et dans le second cas on ne les suit pas. C’est incompréhensible et très grave…
Le deuxième niveau que je voudrais souligner est qu’il ne faut pas considérer seulement la parole scientifique. Il est vrai que les scientifiques savent projeter les évolutions de températures, de CO2 etc. Il faut donc les écouter, il n’y a aucun doute là-dessus. Mais il faut bien comprendre que la question à laquelle on fait face n’est pas une question prioritairement scientifique mais une question politique. Il y a ici des gens qui pensent qu’il n’y a aucun problème à avoir 5°C de réchauffement climatique car de toute façon en France on est riches, on mettra l’air conditionné, les forêts on s’en fout, les oiseaux on s’en fout : tant que l’on peut continuer à manger des hamburgers dans des pièces climatisées, il n’y a aucun problème.
Le problème est donc politique et éthique : il s’agit de savoir dans quel monde nous voulons vivre et ça, nous ne pouvons pas le déléguer aux seuls scientifiques.
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Et, au-delà de cela, il y a une folie de nature logique car quand bien même on se ficherait des lions ou des oiseaux, tout cela est en fait suicidaire parce que les conditions de stabilité de la planète sont aussi en train d’être mises à mal. Nous allons nous-mêmes en pâtir gravement.
Alors pourquoi n’y arrive-t-on pas ? Je crois que le mal est très ancien. Dans les milieux de gauche par exemple, beaucoup de gens se disent : « le mal c’est le capitalisme », je crois que c’est faux. Je pense qu’il y a effectivement un problème avec le capitalisme : il comporte en lui-même sa propre illimitation en quelque sorte, il fait de la croissance une fin en elle-même. Et on voit aujourd’hui aussi les ravages au niveau social. Donc, oui, il y a un problème avec le capitalisme mais ce n’est pas la totalité du problème. L’Homme s’est construit sur des mythes de domination et de prédation, c’est peut-être également là-dessus qu’il faut travailler.
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en plus de la pollution engendrée par l’industrie de la viande, il faut relever que 100 milliards d’animaux terrestres et 1000 milliards d’animaux marins meurent chaque année dans des conditions épouvantable. Ces êtres vivants ressentent la douleur, la peur, le désir de vivre et on a décidé pour eux que la Terre serait un l’enfer... Le pire n’est pas les abattoirs, le pire est qu’avant les abattages il n’y a pas de vie : c’est en quelque sorte un crime contre l’ontologie de la vie.
Nous faisons parfois en sorte qu’avant même d’être tués, ils ne voient jamais ciel, ils ne puissent même pas déployer leur membres... Nous sommes à un niveau de monstruosité systémique total. Je ne suis pas sûr que les gens comprennent que le monde animal sur Terre est une gigantesque souffrance dans un couloirs de la mort.
Un monde sans viande est-il inéluctable ? Cela dépend comment on prend la question. Cela est-il nécessaire ? La réponse est évidemment oui. Est-ce que cela va avoir lieu ? Je n’en ai aucune idée…
Le végétarisme est plus accepté qu’avant, on peut en parler librement et je pense que beaucoup de gens commencent à comprendre qu’il y a un problème mais pourtant la consommation ne diminue pas… Je ne suis donc pas du tout confiant : nous ne traitons pas les problèmes que nous comprenons.
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Les pays pollueurs ne sont pas les plus touchés, ce n’est pas de chance : si les changements climatiques avaient lieu essentiellement aux États-Unis, l’avenir du monde serait sûrement différent, mais ce n’est pas le cas…
Je pense qu’on arrive à un niveau d’obscénité inqualifiable en continuant à développer, pour une partie de la population des pays occidentaux, une richesse inconsidérée. Implicitement, dans ce geste il y a le choix de faire mourir une grande partie du monde... C’est ce que certains libéraux appellent la liberté : être libre d’acheter une Ferrari et de prendre l’avion. Moi j’appelle ça le meurtre. Il faut quand même que l’imaginaire occidental comprenne la chaîne causale impliquée par ces questions.
(...)
Je pense que si on se focalise sur l’humanité, la première source de catastrophes seront les très grandes migrations engendrées par le bouleversement climatique. Lorsque l’ONU évoque plusieurs centaines de millions de réfugiés climatiques, en matière de géostratégie, cela signifie la guerre. Donc cela veut dire qu’en s’accrochant à notre confort, nous sommes en train de décider de laisser à nos enfants un monde en guerre, c’est un choix dramatique. (...)
il y a quelques bonnes actions mais l’évolution tendancielle est de pire en pire… Notre incapacité à poser les questions de fond et à comprendre que nos construction suicidaires sont réfutables me sidère. (...)
Qu’il s’agisse de l’écologie mais aussi des innombrables discriminations et injustices, je ne parviens pas à comprendre qu’on remette si peu en cause nos règles et nos valeurs, alors que celles-ci sont totalement arbitraires. Alors que nous les savons intenables et mortifères, nous nous accrochons à nos conventions économiques et nous négligeons les lois de la physique ; c’est gravement inconséquent. (...)
Il n’est nul besoin d’être astrophysicien pour se révolter face à la hargne froide et stupide avec laquelle une petite partie de la population mondiale est en train de décider d’un saccage immense et irréversible pour presque tous les autres.