Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Au tribunal de Bobigny, la version des policiers ne convainc pas
#Nahel #violencespolicieres #emeutes #justice # prison #relaxes
Article mis en ligne le 9 août 2023
dernière modification le 8 août 2023

Interpellés pour « destruction par incendie » et des violences contre des policiers après la mort de Nahel, trois jeunes hommes ont passé cinq semaines en détention. Lors du procès, l’absence d’éléments et des vidéos Snapchat ont remis en cause la version policière. Les trois prévenus ont été relaxés.

À grand renfort de chiffres sur les interpellations et les condamnations, les ministres de la justice et de l’intérieur s’étaient félicités d’avoir su répondre efficacement aux révoltes. Une réponse pénale « rapide, ferme et systématique », selon les termes du garde des Sceaux. Mais ce vendredi 4 août, au tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis), c’est une autre histoire qui se dessine.

« Il y a eu beaucoup de procédures contre des émeutiers qui n’ont rien donné à cause de problèmes d’identification ou de preuves », admet la substitut du procureur, en préambule. Mais ses réquisitions restent implacables et vont de huit à douze mois de prison ferme pour les trois prévenus.

Le procès-verbal des policiers en question

« Un dossier de 90 pages qui repose uniquement sur les dires d’un policier dont on ne connaît même pas l’identité, c’est très mince pour trois accusations aussi graves », pointe maître Marie Geoffroy. Cette dernière représente deux jeunes hommes poursuivis pour jet de cocktail Molotov et feux de poubelles. (...)

Mohamed H. n’apparaît pas sur l’exploitation des caméras de surveillance, tout comme Hassan A. « Est-ce que les policiers se trompent ? Ont-ils interpellé les mauvaises personnes ?, interroge l’avocate. Cela arrive. Il arrive également que les policiers mentent sur les procès-verbaux. » « Ce dossier est la meilleure illustration à la circulaire du garde des Sceaux » réclamant des peines « rapides, fermes et systématiques », se désole Me Geoffroy. « On se félicite de placer trois jeunes en détention provisoire. Mais derrière, ce sont des vies brisées », appuie l’avocate.

Un prévenu innocenté grâce à Snapchat (...)

Un individu habillé tout en noir passe devant la caméra, mais les policiers aperçoivent des baskets à semelles orange. « C’est l’un des rares éléments à charge dans ce dossier », remarque le président du tribunal.

Mehdi H. est interpellé vers 4 h 30 du matin. Mais un élément interpelle : la couleur de son jogging diffère de celle aperçue sur les caméras de vidéosurveillance. Pour l’avocate des policiers et pour la substitut du procureur, Mehdi H. s’est changé. Mais « il n’est pas assez intelligent pour se changer intégralement », imagine cette dernière. Il porte toujours aux pieds des baskets à semelles orange. (...)

Mais Snapchat met en doute cette hypothèse. Mehdi H. a documenté la soirée via l’application et s’est pris en vidéo à deux reprises. Une première fois à 19 h 29 et la seconde à 3 h 39, peu de temps après sa présumée participation aux affrontements avec la police. Sur ses deux stories, le jeune homme porte invariablement un jogging blanc. « Les faits sont graves. Pourtant, les enquêteurs n’ont pas pris la peine de chercher à prouver que Mehdi H. s’était changé en réalisant une perquisition à son domicile pour trouver des vêtements noirs par exemple », s’étonne son avocate, Me Léa Zimmermann.

La faiblesse des éléments à charge n’a pas empêché la justice de faire preuve de sévérité à l’égard des prévenus. Après le renvoi de la comparution immédiate, Mehdi H., Hassan A. et Mohamed H. passent cinq semaines en détention provisoire. Incarcérés fin juin, ils restent présumés innocents en attente de leur jugement. En France, ces prévenus représentent une grande part des personnes en prison. En juillet 2023, un quart (27 %) des 74 513 personnes placées en détention était en attente de leur jugement. (...)

Après plusieurs heures de débats, le délibéré tombe. Tous les prévenus sont relaxés. Seul Mehdi H. reste en prison pour un autre délit, sans lien avec les révoltes urbaines.
Un choc carcéral risqué

Plus d’un mois après le décès de Nahel, l’affolement judiciaire semble arriver à son terme. Mais la période laissera des traces. Interrogé par le juge, Mohamed H. évoque son passage en prison. « À Fleury-Mérogis, j’ai vu ce qui pouvait se passer si on prenait le mauvais chemin. Il n’y a que des tueurs là-bas », balbutie le jeune homme. « Passer par la case prison alors qu’ils n’ont rien fait et que pour certains, ils n’ont pas de casier, cela va les marquer », appuie maître Marie Geoffroy.

Fin juillet, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, s’est félicité d’un taux de « 95 % de condamnations » après les révoltes. Des peines souvent accompagnées de prison ferme. Selon une étude conduite par des membres de son ministère, les plus jeunes des ex-détenus et les auteurs de vol simple ont un risque de récidive très supérieur à la moyenne.

Des profils qui correspondent à ceux des personnes écrouées après les révoltes urbaines. Des conséquences dont le ministre de la justice ne risque pas de se vanter.

Lire aussi

 le club de Mediapart/ Michel Kokoreff, Sociologue (Paris 8)

Un peu d’espoir en l’État de droit

(...) Lors d’une audience pénale vendredi dernier, trois jeunes étaient poursuivis pour feux de poubelles et tirs de mortier survenus le 29 juin, à Gagny. Placés en détention après leur comparution immédiate, une brillante plaidoirie de leurs deux avocates a retourné le tribunal : ils ont été relaxés. Un peu d’espoir face à un profond sentiment d’injustice. (...)

Quoi qu’il en soit, cette audience sans doute a-typique au regard de bien d’autres où c’est à une justice d’abatage qu’il a été procédée ici ou là, avec peu d’éléments à charge et des peines fermes de 6 à 12 mois pour des très jeunes, cette audience donc en dit long : 1/ sur les faits poursuivis (feux de poubelles et de containers, tirs de mortier) par le tribunal correctionnel passibles d’une peine de dix ans de prison ; 2/ sur le travail de police judiciaire dans un contexte de pression hiérarchique via la circulaire du Garde des Sceaux ; 3/ sur les recours juridiques qui demeurent un garde à fou aux dérives liberticides. Si le problème politique posé n’était pas si grave, on rêverait de modules de formation pour tous les agents garants de l’autorité publique en matière de procédure pénale – là où ils sont au contraire retirés aux OPJ en formation.

Au-delà de ce cas, le problème n’en demeure pas moins un profond sentiment d’injustice qui est alimenté et reproduit par un modèle républicain qui ne tient plus ses promesses depuis des lustres, le fonctionnement ordinaire des institutions, le racisme institutionnel et la racialisation des habitants des quartiers populaires, le délire sécuritaire de la droite extrême que plus rien ne semble séparer de l’extrême droite, le mépris du pouvoir et le confusionnisme des médias dominants. Qu’on ne s’étonne pas du climat de violence sociale et politique dont les causes sont à chercher dans les conséquences de ces phénomènes.