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Au ministère du Travail : les agents sous pression, une ambiance délétère et des milliers d’heures sup’ non payées
Article mis en ligne le 14 juillet 2017
dernière modification le 13 juillet 2017

Alors que la loi autorisant le gouvernement à légiférer par ordonnances est examinée depuis lundi par les députés, les fonctionnaires de la direction générale du travail (DGT) sont à pied d’œuvre pour rédiger les futurs textes. Entre travail de nuit, le week-end et même les jours fériés, ils ont déjà chèrement payé la loi El-Khomri.

Plusieurs milliers de leurs heures de travail ont même été « écrêtées », c’est-à-dire purement et simplement effacées et non indemnisées – une pratique illégale dans le privé, et mise en cause dans l’administration. Certains dénoncent aussi un climat délétère. Au sein des autres services du ministère, durement touchés par l’austérité, la situation n’est pas meilleure. Enquête.

« Je crois qu’en fait, j’ai peur. » Alors que nous discutons sur un banc en marge d’une manifestation, à l’heure de la pause déjeuner non loin du ministère du Travail à Paris, Nathalie redoute d’être aperçue en compagnie d’un journaliste. La fonctionnaire, qui jette de temps en temps un coup d’œil inquiet à droite et à gauche, est en poste à la direction générale du travail (DGT), la principale administration centrale du ministère. L’angoisse finit par prendre le dessus : les larmes pointent, embrument son regard. Nathalie décide de mettre un terme à l’entretien. Elle se lève, prend congé.

Nathalie, d’ailleurs, ne s’appelle pas Nathalie. Craignant des représailles de sa hiérarchie, elle a requis l’anonymat (...)

Plusieurs documents internes ont « fuité » et ont été publié par Mediapart, Le Parisien ou encore Libération, ce dernier journal révélant notamment le contenu des travaux commandés par l’exécutif à la DGT sur les projets d’ordonnances de réforme du code du travail, qui doivent être adoptés d’ici la fin du mois de septembre.

La DGT, service clé du ministère

Dirigé depuis 2014 par l’énarque et conseiller d’État Yves Struillou, la DGT est un service pointu. Ses agents, environ 220 personnes, bientôt un peu plus, sont familiers de sujets tels que la négociation des accords de branche, la justice prud’homale, ou encore les mesures de représentativité syndicale et patronale. Diplômés d’un Institut d’études politiques (IEP), juristes, parfois énarques (pour l’encadrement), ils sont la cheville ouvrière des réformes du code du travail qui s’enchaînent depuis des années. Selon l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), rapportant un décompte effectué par la Commission européenne, la France aurait effectué pas moins de 165 réformes de son « marché du travail » sur la période 2000-2014 ! Les fonctionnaires de la DGT rédigent les projets de loi, les réponses aux amendements déposés par les parlementaires, ou encore les décrets d’application.

Pour préparer la loi autorisant le gouvernement à légiférer par ordonnances, présenté le 28 juin en Conseil des ministres, puis le contenu des futurs textes, ce sont les claviers de la DGT qui s’activent. Suite aux fuites dans la presse, la réaction de la hiérarchie, préoccupée par la maîtrise de son calendrier et de sa communication, a été brutale (...)

Surtout, un peu comme dans un remake de la Coupe du monde de football 2010, on clame haut et fort « chercher la taupe » au sein du ministère. Une enquête administrative a ainsi été commandée à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Plus exceptionnel encore, une plainte pour vol – visant donc un ou des agents de la DGT – et pour recel de documents (visant les journalistes) a été déposée le 9 juin, deux jours après l’article de Libération. Moins d’une semaine plus tard, le gouvernement calmait le jeu avec la presse en retirant le motif de « recel ». Mais conservait sa plainte pour vol, maintenant la pression sur les agents.

« C’est une singulière conception du management public que de porter plainte contre ses propres services », a alors réagi le syndicat FSU-TEFE (Travail-emploi-formation-économie). Cela, « alors que les documents publiés n’ont pas de secret défense, remarque le syndicat, et qu’ils sont nécessaires à l’instauration d’un débat transparent sur l’ampleur des changements envisagés, d’une part avec les organisations syndicales qui sont reçues dans le cadre d’échanges avec le gouvernement sur la future loi travail, d’autre part avec les citoyens et leurs représentants qui devront débattre de la future loi d’habilitation. »

Réseau informatique coupé par la direction

Manifestement, la manœuvre d’intimidation fonctionne. « Nous n’avons jamais vu un climat aussi lourd, confirme un troisième salarié à Basta !. (...)

« Stress », conditions de travail « indignes », « manque de reconnaissance », « disparition » du collectif de travail… En 2016, en pleine adoption aux forceps de la loi El-Khomri, les griefs évoqués par les agents, alors consignés sur un compte-rendu d’assemblée générale, sont nombreux et sans équivoque. Pour tenir le rythme des réécritures du texte, ou répondre aux milliers d’amendements déposés par les parlementaires, certains travaillent la nuit, le week-end, ou même les jours fériés. Cela y compris… le jour du 1er mai ! Le tout « en méconnaissance – et c’est un comble pour le ministère du Travail, des règles en matière de durée du travail et de repos hebdomadaires », juge malicieusement un communiqué rédigé par plusieurs syndicats [1]. (...)