
José Bové : Je connaissais auparavant le Parlement par le biais du syndicalisme. Ce qui est appréciable, ce sont les outils dont on dispose, les documents, et le fait qu’on a accès à tout. Il y a une vraie transparence. Par exemple on a obtenu les copies des mails entre Syngenta et l’EFSA (1). Puis j’ai découvert comment construire des majorités en dehors des logiques de bloc, c’est beaucoup plus intéressant et c’est un vrai laboratoire de démocratie.
Tu peux te trouver d’accord avec des adversaires sur certains sujets. Pour chaque thème il s’agit de construire une majorité en commission, puis dans l’hémicycle.
C’est ainsi que j’ai obtenu six cents voix quand j’ai présenté mon rapport sur les revenus agricoles. Il n’y a pas le réflexe « c’est un tel qui présente le projet, donc on vote contre ».
Du côté des déceptions : malgré tout ce travail de démocratie, le jeu parlementaire est perverti par la coalition des deux grands partis.
Et puis il y a encore à couper le cordon avec le pays d’origine, les députés ayant trop l’habitude de voter en fonction de ce que souhaite leur gouvernement. Pour cela, ce serait intéressant d’élire des députés sur des listes transnationales.
J’ai découvert aussi cette autre perversion de la démocratie qui consiste pour la Commission à voter des textes en « acte délégué », afin de ne pas passer par le Parlement. Il faut renforcer les pouvoirs du Parlement pour qu’il puisse étudier ces actes délégués.
Quand on connaît le Parlement européen, on sait qu’on peut y être un peu comme dans un aquarium, et qu’il y a donc le risque pour ses membres de ne plus s’occuper de ce qu’il se passe à l’extérieur.
Oui. Pour éviter ce risque, je suis parti du principe que je ne participerais à aucun cocktail ni aucune fête interne au parlement.
Ce qui est intéressant, c’est d’utiliser l’outil pour faire venir des gens de l’extérieur. Par exemple sur le gaz de schiste ou sur les semences, nous avons pu organiser des événements avec des gens de tous pays, avec des moyens de traduction. Il faut veiller à ne jamais se couper de l’extérieur ; en ce sens, j’ai travaillé en permanence avec les ONG. Je me suis rendu compte que quand tu es pointu sur un sujet, au Parlement, tu es écouté, tu ne fais pas de la politique « hors-sol ». (...)
Les ONG fonctionnent-elles à Bruxelles comme les lobbies ?
Ce sont aussi des lobbies. Mais elles disposent de moins de moyens. Et comme elles défendent l’intérêt général et non des intérêts particuliers, leur présence n’est pas vécue de la même façon. Ce qui arrive maintenant, ce sont les cabinets d’affaires, qui portent les intérêts des entreprises.
Quand tu as choisi de te présenter aux élections, des militants ont jugé que tu serais plus utile en restant sur le terrain. Qu’en penses-tu cinq ans plus tard ?
Pour moi il n’y a pas d’opposition entre être élu et mener des combats. Il s’agit de construire un travail commun. C’est peut-être plus facile pour moi car je viens du mouvement. Mais c’est aussi le cas d’autres députés européens comme Michelle Rivasi, très impliquée dans les dossiers sur les médicaments, ou Sandrine Bélier. Avec des initiatives comme la pétition à propos de la directive sur l’eau, qui a recueilli 1,8 million de signatures, on a réussi à faire bouger la commission : l’eau n’est pas une marchandise (2). Ça change des pétitions classiques, ça devient une autre façon de faire de la politique.
On me faisait remarquer ce matin-même qu’au Pays Basque, le mouvement abertzale obtient de bons résultats aux élections, alors que par contre le mouvement des indignés n’a pas voulu entrer dans le jeu électoral, n’a pas de représentation et finalement, même là où ce mouvement est très fort, c’est la droite qui l’emporte. Il y a une tension à garder entre actions de terrain et jeu politique. (...)
Outre les accords commerciaux, quels sont les autres chantiers que tu comptes aborder en priorité si tu es réélu ?
Il y a un dossier important qui arrive : le sommet du climat qui se tiendra à Paris fin 2015, qui s’articule avec la politique européenne. La Commission a une position très molle, alors que le Parlement vient de voter un objectif beaucoup plus dur, plus ambitieux par rapport aux énergies renouvelables. Ce qui veut dire que même des députés de droite ont voté pour, notamment des Allemands. (...)
J’appelle à un « Seattle du climat » à Paris – ce qui ne plaît pas à tout le monde ! – car ce qui manque, c’est la prise en compte des pays du sud. Un autre chapitre à venir : la nouvelle architecture européenne. Comment avancer vers une Europe fédérale ? (...)