Mashrou’Leila, un groupe de rock pro-LGBT, a vu son concert annulé cet été à Byblos à la suite des critiques du clergé, suscitant l’indignation de la société civile et des ONG.
Avec un chanteur ouvertement gay et des textes engagés qui défendent, parmi d’autres, les droits de la communauté LGBT+, Mashrou’ Leila, le groupe local à la renommée internationale formé en 2008 par des étudiants de l’université américaine de Beyrouth (AUB), a été accusé le mois dernier de porter atteinte aux valeurs et symboles chrétiens.
À l’origine de la controverse : un article partagé sur Facebook par le chanteur du groupe, Hamed Sinno, illustré par un photomontage où le visage de la Vierge Marie a été remplacé par celui de la star américaine Madonna. Deux chansons du groupe ont aussi porté atteinte aux bonnes mœurs, « Idols » et « Djin », considérées comme « insultant la sacralité des symboles chrétiens ». (...)
L’affaire avait pris une tournure particulièrement violente sur les réseaux sociaux, certaines voix incitant de manière à peine voilée au meurtre des membres du groupe en cas de maintien du concert.
Tout a commencé lorsque des dignitaires catholiques ont lancé le 22 juillet un appel à l’annulation du concert accusant le groupe d’« insulter les valeurs religieuses et humanitaires et les croyances chrétiennes ». (...)
Le même jour, une plainte officielle est déposée contre le groupe pour avoir insulté la religion chrétienne et « diffusé et prôné l’homosexualité ». Deux des musiciens qui se trouvaient au Liban ont alors été arrêtés dans la foulée par la Sûreté de l’État avant d’être relaxés.
À l’issue de plusieurs heures d’interrogatoire, la justice a précisé qu’il n’y aurait pas de mesures punitives à l’encontre du groupe et que les deux musiciens qui se trouvaient à l’étranger pouvaient rentrer. En contrepartie, le groupe a été contraint de s’engager à présenter des excuses publiques. Celui-ci n’a finalement pas tenu la conférence de presse convenue.
Au Liban, mosaïque de dix-huit communautés religieuses, la loi pénalise l’atteinte aux religions et symboles sacrés ainsi que l’homosexualité, même si des percées ont été réalisées concernant cette dernière, qui est bien plus tolérée que dans le reste du monde arabe. (...)
L’épisode actuel rappelle que le chemin vers une libéralisation de la société dans un pays empreint de religion et de confessionnalisme reste long et très ardu. (...)
Face à la vague de réprobations, d’insultes et de menaces virulentes, décriées comme une « inquisition » par des membres de la société civile, des juristes, des ONG et des personnalités politiques ont décidé de contre-attaquer, appelant à la défense des libertés publiques.
« Boycottez si vous voulez, c’est votre droit. Mais laissez au Liban la saveur de la liberté », a tweeté un ex-député de Byblos. (...)
Le 9 août, plus de 1.500 personnes se sont réunies dans la capitale libanaise pour participer à un concert de substitution, baptisé La musique est toujours plus forte (« Music is Always Louder »). (...)
« Il est inadmissible que de tels appels continuent d’émaner d’institutions censées servir de modèles pour leur public [...] au lieu de permettre les propos haineux, notamment homophobes », a déploré de son côté l’ONG Amnesty International. L’association Human Rights Watch (HRW) a pour sa part qualifié le groupe de « dernière victime [...] de la répression alarmante » contre les libertés au Liban, regrettant que le pays du Cèdre, autrefois « fier d’épouser la diversité » rejoigne l’Arabie saoudite, l’Égypte et la Jordanie pour ce qui est de la censure d’un groupe musical. (...)
L’affaire du groupe Mashrou’ Leila s’inscrit dans le cadre d’un recul général des libertés au Liban ces dernières années. Le pays est le théâtre d’arrestations récurrentes d’activistes ou de simples citoyen·nes en raison de leurs commentaires sur la toile critiquant des responsables politiques ou traitant de questions telles que la corruption ou la religion. (...)
En mai 2018, des activités à l’occasion de la Journée internationale contre l’homophobie ont été annulées par les autorités. (...)