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Mediapart
Attaquer l’État pour loger des familles sans abri, un outil de plus en plus mobilisé
#hebergement #accueil #asile
Article mis en ligne le 10 janvier 2023

La saturation de l’hébergement d’urgence est avérée et les personnes prioritaires comme les familles ne le sont plus. Alors l’avocat de Médecins du Monde et Utopia 56, Me Djemaoun, systématise le dépôt de recours devant la justice administrative pour contraindre l’État à héberger les personnes sans logement.

13 ans, Salim* souffre d’une maladie congénitale rare. Elle lui occasionne des crises douloureuses, des épisodes de fièvre intense et des ganglions qui saignent. Alors le garçon doit prendre un cocktail de médicaments anti-inflammatoires pour se soigner et contrôler la douleur des récidives. Le 30 janvier, il doit même subir une opération chirurgicale.

Seulement, se soigner et avoir une convalescence dans de bonnes conditions est impossible lorsqu’on dort dehors. C’est en substance ce que Me Samy Djemaoun, avocat de Médecins du Monde et de l’association d’aide aux migrant·es Utopia 56, a défendu le 6 janvier lors d’une audience au Conseil d’État.

Parce que Salim, son frère de 15 ans, sa sœur de 10 ans et leur mère, reconnue handicapée, dorment dehors depuis quatre mois. Dans des gares ou sur des canapés par-ci par-là, à la faveur de la générosité de personnes émues par le sort de cette famille. (...)

En pleine vague de froid, l’avocat a aussi saisi la justice au nom d’Utopia 56 et de Médecins du Monde, pour permettre l’accès aux non-Ukrainien·nes des places vacantes dans le centre d’accueil qui leur est réservé Porte de la Villette à Paris. (...)

Il a été débouté mais dès le lendemain, le 19 décembre, Olivier Klein, ministre du logement, créait la surprise et annonçait avoir réquisitionné ce même centre la veille, pour permettre la mise à l’abri de familles repérées en maraude. « Le gouvernement s’était engagé à ce qu’il y ait zéro enfant à la rue, cette promesse est tenue ! »

De fait, Me Djemaoun a décidé de systématiser le recours à la justice administrative, un levier peu mobilisé par les associations jusque alors (...)

Un nouveau levier juridique

Depuis le 1er décembre, Samy Djemaoun a saisi à vingt reprises le juge des référés, cinq fois contre l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) et quinze fois contre la préfecture de la région Île-de-France. Il a son actif quatre victoires sur cinq contre l’Ofii et dix recours victorieux contre la préfecture dont deux non-lieux.

La Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal) a fait appel des décisions de justice dans sept affaires. Cinq ordonnances ont été annulées, avec une remise à la rue potentielle, et deux ont été confirmées par le Conseil d’État. (...)

Bien couverte, même si les températures sont remontées, Mariame montre sa main, engourdie par le froid à force de passer des heures dehors. Ses enfants sont scolarisés dans des endroits opposés de la capitale. Sans compter que parfois, ils sont hébergés très loin. La mère reçoit souvent des appels du collège de Salim. Le dernier « avant-hier ». L’adolescent arrive parfois en retard et surtout s’endort en classe, faute de pouvoir trouver un sommeil réparateur. « Tant que je serai dehors, ma tête ne sera pas tranquille », répète Mariame.

L’enjeu pour Me Djemaoun est de démontrer la vulnérabilité de la famille, notamment à cause de l’état de santé de Salim. En première instance, l’avocat a été débouté pour son recours, faute d’avoir produit une attestation de suivi médical de l’enfant. Ce qui a été fait entre-temps.
Et la famille bascula dans la catégorie des vulnérables

Face au juge des référés, l’avocat insiste sur le fait que la pathologie de Salim le range dans la catégorie des plus vulnérables et qu’à ce titre, sa famille doit être hébergée. Notamment en vue d’une opération chirurgicale que l’adolescent doit subir à la fin du mois de janvier.

Le représentant de la Dihal ne l’entend pas de cette oreille. Il commence par vouloir rappeler la situation de tension en Île-de-France due à la forte demande d’hébergement. Le président le coupe et lui enjoint d’avancer : « Nous avons déjà eu ces chiffres. » Le premier ne se démonte pas et se livre à un numéro d’équilibriste. Il reconnaît que la pathologie de l’enfant est « grave » mais affirme aussi, « sans être médecin », que les poussées peuvent être traitées et soulagées par les médicaments. De fait, « nous contestons que cette pathologie mette la famille dans la catégorie de vulnérabilité. »

Le cas échéant, la famille pourrait se rendre à l’hôpital en cas d’aggravation, ajoute-t-il. Le représentant de la Dihal poursuit son exposé en arguant du fait que l’opération prévue ne semble pas invasive et peut se pratiquer sans incision ni anesthésie. Ce qui est faux, l’enfant sera bien sous anesthésie générale. Sans compter qu’elle se déroulera dans trois semaines, le caractère urgent de l’hébergement n’est donc pas caractérisé, selon lui. Le tout sans pouvoir établir toutes ces affirmations.

Me Djemaoun s’insurge. « On est en train de dire qu’il est atteint d’une maladie grave et rare mais pas assez pour caractériser la détresse ? » Plus tard, il poursuit : « Et même si on décorrèle l’état de santé de cet enfant de la situation, on parle toujours d’un enfant à la rue. »

Un retournement de situation se produit à la fin de l’audience. La Dihal explique que la famille est bien parmi les plus vulnérables, indique que finalement celle-ci « pourrait » être logée le soir même et admet même que ce référé a permis de faire remonter dans la pile cette situation de détresse.

En somme, l’État reconnaît que les référés sont utiles et permettent de rendre effective une priorisation du Samu social qui ne l’est pas et que la famille a, en l’espace d’une audience, basculé parmi les familles les plus vulnérables « par magie », décrypte Samy Djemaoun. « Sinon aucun hébergement d’urgence n’aurait été proposé – sauf à considérer que l’État loge en urgence des familles moins vulnérables et donc ne priorise pas. »

Au cours de l’audience, Me Djemaoun a confessé ressentir « une frustration juridique » de ne pas obtenir d’éléments plus précis concernant les critères de vulnérabilité retenus par l’État. (...)

De l’espoir, mais aussi de la fébrilité

L’avocat n’est pas près d’abandonner (...)

Nikolaï Posner, chargé de la coordination plaidoyer à Utopia 56, acquiesce et se réjouit de ce tournant juridique. Habituellement, l’association, démunie face à ces questions, orientait les personnes vers d’autres structures mieux outillées. Mais, pour lui, l’engagement de Me Djemaoun, « très asssidu », fait la différence. (...)

Les audiences sont « violentes », explique encore Nikolaï Posner, avec « la préfecture de région et la Dihal, qui va vraiment essayer de déconstruire la vulnérabilité de ces familles alors qu’elle est évidente ». (...)

Mais Paul Alauzy, de son côté, craint que les autorités ne fassent en sorte que ces recours ne fonctionnent plus au bout d’un moment. « L’État fait déjà appel, on voit déjà que petit à petit ils vont créer un goulot d’étranglement, et nous allons gagner de moins en moins. » Mais il est question, pour « systématiser la méthode », de former d’autres avocat·es, qui pourront prendre le relais de Me Djemaoun.

Parce que, pour Me Djemaoun, il faut continuer de bousculer l’État, le contraindre à prendre ses responsabilités et à respecter la loi. Surtout que le gouvernement a su tout mettre en œuvre pour accueillir de manière « très digne et humaine » les réfugié·es venu·es d’Ukraine : « Ce n’est donc pas un problème de moyens mais de volonté politique. » (...)

Les déconvenues sont survenues plus tard dans la journée pour Salim et sa famille. La Dihal a bien proposé, comme promis, un hébergement dans les Yvelines, censé être « en long séjour » comme le juge des référés l’avait demandé. En réalité, la famille a reçu une proposition d’hébergement jusqu’au 20 janvier. Un hébergement de deux semaines ne correspond pas à la définition de long séjour ni de logement pérenne, souligne Me Djemaoun.

L’avocat insiste là-dessus car il a réussi à obtenir une évolution de la jurisprudence sur ce point le 4 janvier du juge des référés du Conseil d’État. (...)

Cependant, l’hébergement proposé n’était pas adapté à la taille de la famille. Elle n’a pas pu y avoir accès pour cette raison et doit continuer de dormir dans la rue.