
Le « Grand Jury » mis en place l’an dernier par le ministère de la Justice américain, suite à la révélation des câbles diplomatiques par WikiLeaks, aurait bel et bien inculpé Julian Assange, sur le terrain de l’espionnage1.
C’est là l’une des révélations majeures contenues dans les e-mails de la société de renseignement privée Stratfor, publiés cette semaine par WikiLeaks.
Cette nouvelle particulièrement inquiétante pour la liberté de la presse et la transparence de nos démocraties reste pourtant négligée. Tout se passe comme si les grands médias traditionnels ne mesuraient pas réellement l’importance de ce qui si joue. Et il en va de même du côté des ONG défendant la liberté de la presse : ni l’ACLU, ni le Comité de Protection des Journalistes, ni Reporters Sans Frontières ne se sont émus de la nouvelle, que le ministère de la Justice américain – tout en se refusant à la confirmer – ne dément pas.
Comme si l’entreprise de diabolisation du fondateur de WikiLeaks avait fonctionné. Comme si les efforts de distanciation d’une partie de la « grande presse internationale » qui a collaboré avec WikiLeaks (le New York Times et le Guardian en particulier) avaient réussi. Depuis plusieurs mois en effet, ces derniers n’ont eu cesse d’expliquer que WikiLeaks ne mène pas un travail journalistique, et de décrire Assange comme un homme à l’éthique douteuse, un idéologue buté et viscéralement hostile aux États-Unis. Les choses ont encore empiré lorsque, en août 2011, WikiLeaks a pris la décision de publier l’intégralité des câbles diplomatiques, sans vérifier au préalable leur contenu. Assange est alors tombé en disgrâce aux yeux de nombreux journalistes qui le soutenaient encore, et ce alors même que, dans cette affaire, le Guardian est au moins aussi responsable que WikiLeaks.
Ce divorce croissant entre les journalistes professionnels et Assange ne serait pas inquiétant s’il n’influait pas sur la manière dont nos sociétés se représentent WikiLeaks, et avec WikiLeaks les autres « sonneurs d’alerte » actifs sur Internet. Car à partir du moment où l’on admet que Assange et ses collaborateurs ne font pas partie du « club du journalisme officiel », il devient alors bien plus aisé d’admettre qu’ils puissent ne pas bénéficier des protections de la presse, et donc de justifier des poursuites pour espionnage. Et pourtant… (...)
l’administration américaine poursuit la stratégie suivante : obtenir des aveux de la part de la source alléguée de WikiLeaks – le soldat Bradley Manning, détenu dans des conditions extrêmement controversées depuis plus d’un an et demi – afin de « prouver » qu’Assange a activement collaboré avec ce dernier dans la fuite des documents.
En s’intéressant ainsi à la relation entre le « journaliste » (Assange) et sa source (Manning), le gouvernement américain s’engage dans une voie absolument contraire à la logique du Premier amendement, au détour d’une loi qui renvoie aux heures sombres de l’histoire américaine. Cette initiative constitue une menace pour tous les nouveaux acteurs de la démocratie en réseau que sont les blogueurs, ONG et autres sonneurs d’alerte qui sont amenés à collaborer avec des sources pour révéler des documents confidentiels, mais aussi pour les journalistes d’investigation. De plus, en stigmatisant ainsi WikiLeaks, le gouvernement américain tourne le dos à une longue tradition démocratique qui valorise la contribution de tous au débat public, quelque soit la forme de l’expression ou le statut du locuteur qui souhaite publier des informations d’intérêt général.
Alors comment interpréter le silence des journalistes professionnels sur cette inculpation ?
(...) Ebuzzing