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Archéologie et avenir des bidonvilles
Entretien avec Cyrille Hanappe Cyrille Hanappe est architecte, ingénieur, Maître assistant à l’École nationale supérieure d’architecture Paris Belleville.
Article mis en ligne le 16 août 2016

Villes informelles, jungles, habitats précaires, camps, ghettos, slums, favellas représentent un modèle urbain en plein développement, où se rejoignent toutes les questions liées au développement durable qui associe le souci humain, écologique, environnemental, économique et social. Près du tiers de la population mondiale, soit 2 milliards de personnes sur terre, y vivront d’ici à 2030.

D’ores et déjà, plus de 75 millions de personnes vivent en situation de déplacement forcé dans plus de 1 000 camps et un nombre incalculable de petits campements. Pour Cyrille Hanappe, il s’agit avant tout d’« apprendre de Calais » et de ne pas commettre un « urbicide supplémentaire ». Quel hébergement, quel accueil pour celles et ceux qui ont fui leur pays, leur culture, leur maison, leur famille, en raison des guerres, des massacres, de l’extrême pauvreté ? Ils sont là, ils sont arrivés là, ils ont bâti un refuge et ils tentent de se reconstruire. C’est un fait urbain et humain, un espace de vie. Comment le préserver, l’accompagner ? (...)

Nous avons fait des relevés dans les bidonvilles de Montreuil, de Grigny, Viry-Châtillon, Saint-Denis et Ris-Orangis, dans le but de faire un atlas des bidonvilles en France. Je me suis aperçu que c’était un sujet énorme : il y a 17 000 personnes en France qui habitent en bidonville et qui vivent dans des conditions à risques. Je ne souhaite d’aucune façon pérenniser ces modes de vie, mais il y a un constat à faire : il y a des gens qui vivent pendant des mois, des années, parfois des décennies, dans cet environnement, et la meilleure manière de faire, ce n’est pas de les détruire mais de les améliorer pour que les gens puissent mieux en sortir. Ça vaut aussi pour Calais, bien sûr. (...)

Ce qu’on fait à Calais, c’est un travail de compréhension et, quand on fait un relevé, c’est un projet politique : on affirme que ces choses-là existent. Les politiques ne veulent pas l’entendre. Et pour tout le monde, le bidonville, c’est l’informel, c’est le camp, c’est la jungle, c’est un magma informe, sale, et la conclusion est qu’on ne peut rien faire. Faire le relevé, le dessiner, en rendre compte, c’est le nommer, c’est lui donner une identité et c’est faire comprendre que ces lieux existent et que des gens y vivent, des êtres humains, qui nous ressemblent plus qu’on pourrait le croire. C’est en cela que l’architecture peut devenir politique, en nommant les lieux, en les identifiant. Et c’est la Leçon de Calais, à l’automne 2015.

Oui, on a beaucoup à apprendre de Calais. On a à apprendre sur des éléments qui ne sont pas intégrés dans l’architecture contemporaine telle qu’elle se produit en France.
(...)

Par rapport au démantèlement de la zone sud de la jungle de Calais, en plus de la désertification tragique qui s’en est suivie, le plus grave est la démolition de la partie de la jungle qui était la plus développée. Les cabanes, qui avaient remplacé les tentes, ont été déplacées à la hâte dans la partie nord. Elles ont été alignées comme au régiment. Il y avait des zones par nationalités ou par communautés ; aujourd’hui il y a un mariage forcé et une promiscuité pleine de dangers. Tout ce qui était apparu organiquement et progressivement dans la zone sud a disparu : la gestion des abords, l’appropriation, une qualité de vie, une forme d’équilibre. On ressent une impression de tristesse.

CT : Qu’en est-il avec le camp de la Linière, à Grande-Synthe.

C. H. : Avec les étudiants, il y a une limite dans le risque que je peux leur faire prendre. J’ai besoin d’avoir des interlocuteurs un peu accueillants. Or la mairie de Grande-Synthe a toujours été accueillante et bienveillante, tandis qu’à Calais… On peut faire des travaux d’analyse à Calais, mais à Grande-Synthe on peut aller plus loin. Le camp du Basroch a été démantelé. Le camp de la Linière, toujours à Grande-Synthe, a été créé. Avec un nouveau groupe d’étudiants, en mars 2016, nous nous y sommes investis. C’est un espace qui s’invente, qui est assez révolutionnaire. Certes il n’est pas parfait, il a beaucoup de défauts, mais, sans le vouloir, il est très riche. Il y a eu quelques errements au départ. Par exemple, quand MSF a mis des tentes, faites pour les déserts africains, et non adaptées à la région. Puis MSF a mis au point des cabanes. On les a aidés pour l’implantation. On a donné des conseils, on a dit : on peut faire du micro-urbanisme et ils ont renoncé à un alignement de boîtes à sardines. (...)

Il y a un pan énorme de la population humaine à qui les architectes ne s’adressent pas et qui pourtant a besoin d’architectes. Un architecte qui ressemble plus à un médecin, qui peut avoir toute sa part de création, de créativité, qu’à un « starchitecte ». C’est un besoin réel. Il y a beaucoup de jeunes architectes qui l’ont compris, parce que les conditions de production de l’architecture actuellement sont devenues très difficiles. La grande nouveauté a été qu’ils se constituent en association, en collectif, en sortant de l’école pour agir dans le monde réel. C’est une révolution.

Archi Debout, c’est un mouvement. Face à ces mauvaises conditions, beaucoup de jeunes architectes viennent interroger cette situation. Ils expriment la volonté de donner une définition et un cadre théorique à une production de l’architecture qui serait différente. Il y a un lien entre Archi Debout et des projets comme ceux qui existent à Calais. L’architecture est l’expression d’un pouvoir. (...)

Les jeunes architectes se retrouvent au service d’un système qu’ils ne supportent pas idéologiquement. Soit on travaille sur la Fondation Louis Vuitton et on est au service de Bernard Arnault, soit on travaille sur des petits immeubles de logement et on est au service de la défiscalisation du cadre moyen français. Tout le système de production ne donne pas un environnement très enthousiasmant aux jeunes architectes. À Nuit debout il y a le rêve, en tous cas l’espoir, de pouvoir produire une architecture qui correspondrait plus à certains idéaux démocratiques. Il est là le croisement. On observe dans les jungles, on observe dans les bidonvilles – mais je ne les idéalise pas. Les choses ont un prix dans les bidonvilles, les logements ont un prix, il y a de l’argent qui s’échange, il y a une économie. On ne dit pas que c’est un monde parfait, mais il y a néanmoins une possibilité d’invention et de créativité différentes et basées sur d’autres valeurs que celles du support du capitalisme. Et je veux croire qu’à Archi Debout, c’est ça qui est recherché, l’espoir. (...)

la jungle est le village du monde, le quartier de l’humanité, le forum des sociétés », « c’est cette ville que le gouvernement veut détruire car elle lui échappe, car elle est porteuse d’une idée différente du vivre ensemble, d’une société civile qui s’invente sans tutelle. »5 C’est ce village du monde qu’il faut préserver, pour empêcher un urbicide supplémentaire.