
Alors que des tonnes d’eau radioactive continuent à s’écouler de la centrale de Fukushima, les mouvements antinucléaires japonais se battent pour que les 52 réacteurs actuellement à l’arrêt le restent. En pointe de ce mouvement : les femmes du collectif Mama Gen. Face à un gouvernement pro-nucléaire, à une population qui pense tourner la page en jouant l’autruche, et à des médias qui les ignorent, la tâche est ardue. Basta ! vous emmène à leur rencontre.
Le 21 août dernier, pour la première fois depuis l’accident du réacteur nucléaire Daiichi à Fukushima, l’Autorité japonaise de régulation du nucléaire a qualifié un nouvel incident de grave : au moins 300 tonnes d’eau radioactive ont fuité d’un réservoir de stockage défectueux et, mélangées aux eaux pluviales, se déversent dans l’océan Pacifique. Tepco, l’opérateur de la centrale, a reconnu le « problème ». Mais a précautionneusement choisi de le faire après les élections au Parlement national, remportées par le parti pro-nucléaire de l’actuel Premier ministre, Shinzo Abe.
Le coup est dur pour les militants des mouvements anti-nucléaires locaux, réunis dans des coalitions dont la plus importante est "Sayonara Genpatsu Issenmannin Akushon" (Au revoir le nucléaire). « L’accident de Fukushima a réellement fait naître le mouvement antinucléaire japonais, auparavant invisible, explique Steve Zeltzer, Californien auteur du documentaire Fukushima never again. Des manifestations ont fleuri partout. Le mouvement a cru que cette expression, rare au Japon, serait écoutée par le gouvernement. Mais 2 des 54 réacteurs mis à l’arrêt ont rouvert et Abe, prônant la réouverture totale, a été élu. Les gens ont été sonnés. » Même si la récente élection parlementaire a, pour la première fois, permis à deux militants antinucléaires d’obtenir des sièges, le mouvement semble un barrage bien ténu face à la volonté gouvernementale de rouvrir tous les réacteurs à l’été 2014. (...)
« Le gouvernement est économiquement englué et contrôlé par l’industrie nucléaire, estime Hajime Matsukubo, porte-parole du Centre citoyen et indépendant d’informations sur le nucléaire (Cnic). De plus, les antinucléaires n’ont pas le soutien des syndicats, qui croient encore dans une énergie nucléaire sans danger. Et les votes du mouvement se sont divisés entre plusieurs partis verts. » (...)
Le mouvement arrive à « fissurer ce blocus de désinformation ». Mais il lui manque malheureusement l’accès à la télévision, qui refuse de les médiatiser. « La télévision, surtout publique, cache l’action des antinucléaires, observe un activiste. Les gens ne sont pas informés des conséquences des radiations sur la santé. Comme ils construisent leur opinion en fonction de ce qu’ils voient à la télé, tant que les mouvements en seront absents, ils n’auront pas de légitimité. » Neil Witkin, photographe américain installé au Japon, a mené un remarquable travail de photographies et d’interviews (en anglais) intitulé "Non-dit, pensées intimes après Fukushima" montrant ce que les habitants de la préfecture de Fukuoka pensent et savent des radiations. Le résultat est touchant autant que désespérant. (...)
A Fukuoka, les mères préparent actions, tracts et manifestations au sein du collectif Mama Gen. Elles s’échangent aussi des bons plans : où acheter des fruits et de l’eau non contaminés ? Les femmes cultivent des légumes pour les envoyer aux familles de Fukushima. Le groupe les aide aussi à tenir un engagement difficile : « Ici, beaucoup de mères ont fui le Nord, mais ont dû divorcer, car leurs maris ne partageaient pas leurs inquiétudes et ne voulaient pas sacrifier leurs carrières. On a des petits boulots, on gère l’éducation des enfants, c’est dur. » (...)