
Le chercheur Sébastian Roché se dit surpris par l’ampleur du mouvement "Defund the police", qui se développe en réaction à la mort de George Floyd.
"Les démocrates de la gauche radicale sont devenus fous." Le président américain Donald Trump a vivement réagi, lundi 8 juin, à l’annonce du démantèlement de la police de Minneapolis et aux appels qui se multiplient dans le pays pour réduire les budgets du maintien de l’ordre, deux semaines après la mort de l’Afro-Américain George Floyd. "La loi et l’ordre, et non le définancement et l’abolition de la police", a-t-il tweeté, toutes majuscules déployées. (...)
Sebastian Roché : C’est comme annoncer la révolution. Rien ne garantit qu’on pourra changer toute la société ni qu’il n’y aura pas de contre-révolution derrière. Néanmoins, il est intéressant de voir qu’on pose la question des finalités de la police, au-delà de tel geste technique ou de tel réglement. C’est révélateur d’une crise systémique : le système est mauvais et doit être dissous.
A ma connaissance, cette annonce constitue une première. Face à des dysfonctionnements majeurs de polices locales, il y a déjà eu des enquêtes et des sanctions du ministère de la Justice. Toutefois, ce dernier n’a qu’un pouvoir de tutelle. La reconstruction ne peut se faire qu’au niveau municipal.
Ce qui se passe avec le mouvement "Defund the police", qui appelle à réduire les budgets de la police, est incroyable. (...)
Cependant, il y a une certaine logique derrière tout cela. Ce mouvement rappelle ce que l’on a vu avec les prisons de la côte ouest, notamment en Californie : la croissance du système pénal a coûté tellement cher que les élus ont fini, il y a quelques années, par réduire la voilure, en faisant diminuer la population carcérale et en assouplissant la législation sur les stupéfiants.
Ce mouvement de définancement de la police est-il né avec la mort de George Floyd ou a-t-il des sources antérieures à ce drame ?
On en trouve des racines dans un ouvrage du sociologue américain Alex Vitale, paru en 2017, intitulé The End of Policing. Il explique que le problème de la police réside dans les missions qu’on lui assigne. Quand on présente la police comme la solution à tous les problèmes, on la détourne de ses missions, on l’hypertrophie et on la rend moins fonctionnelle. A l’époque de la publication, je me demandais comment une posture aussi réformiste, qui s’attaque à la structure même de la police, pourrait trouver un écho.
A Los Angeles, 40 à 50% du budget de la ville est consacré à la police. C’est ridicule. Le mouvement en cours aux Etats-Unis pourrait permettre de tailler dans les opérations inutiles, comme les contrôles d’identité, qui ne diminuent pas la délinquance mais augmentent le ressentiment. Les postes de dépenses concernant le matériel, très coûteux, pourraient être réduits. On peut imaginer des plans de départs aussi, même si tout cela sera nécessairement incrémental, progressif.
Les appels au définancement de la police visent à augmenter, en retour, les dépenses pour le logement, l’éducation et la santé. Ces trois facteurs sont déterminants dans les comportements futurs, donc on peut s’attendre à des effets positifs sur la durée. La délinquance naît des inégalités de masse et ce mouvement est à la hauteur des injustices aux Etats-Unis.
Quelle est l’ampleur de la vague Defund the police, qui semble partir de quelques villes seulement ?
Il est difficile de prédire ce qu’il va devenir mais, pour sûr, ce mouvement n’est pas négligeable. Il faut avoir en tête que les Etats-Unis sont un pays fédéral et que ce sont surtout les villes qui pilotent la police. 80% des forces de l’ordre dépendent de l’échelon local. Pour faire bouger la police, il ne faut pas une décision centrale comme en France, où la police est avant tout nationale.
Les chefs des polices locales aux Etats-Unis ont des systèmes d’échanges très développés et s’inspirent beaucoup les uns des autres. Là, on est sur des grandes villes, comme Minneapolis mais surtout Los Angeles et New York, qui ont de grosses forces de police, de gros clients et une grosse influence. Elles seront scrutées de près. (...)
Les forces du statu quo sont moins visibles en ce moment, mais elles ne se sont pas évanouies. On peut imaginer une réaction fédérale par exemple, avec des aides pour muscler encore les polices locales. Dans cette histoire, tout dépend du diagnostic politique : si on y voit une crise des inégalités, on corrige les inégalités ; si on y voit un manque d’efficacité de la police, on renforce la police. (...)
La France fait partie des pays européens les mieux dotés en matière de police, mais c’est justement dans ces pays, y compris chez nous, que l’on observe les taux de satisfaction les plus faibles à l’égard de la police. (...)
Refonder la police supposerait de la dissoudre pour la recréer sur des bases nouvelles. On pourrait imaginer une police plus régionalisée et un contrôle plus indépendant.