
Des personnalités de toute l’Europe s’inquiètent des nouvelles mœurs « qui traversent l’Europe » : « Elles cultivent volontiers le racisme, l’antisémitisme, l’islamophobie plutôt que la bienveillance, la bientraitance, l’accueil organisé de l’autre. » Elles appellent les politiques et les médias à changer leur regard sur les migrants, alors que 22 000 d’entre eux sont morts depuis 15 ans en tentant de gagner l’Europe. Et lancent l’idée de marches de la solidarité. La première devrait se dérouler entre Calais et Bruxelles en août.
En quarante ans tout a changé. À un point tel qu’il devient exceptionnel que soient entendues et écoutées avec succès les voix qui, à l’instar de celles de Jean-Paul Sartre et de Raymond Aron, plaidaient, à la fin des années 70, auprès de l’opinion publique et du Président de la République pour que la France accueille les boat people du sud-est asiatique.
Autre temps, autres mœurs, celles qui traversent l’Europe nous inquiètent au plus haut point. Elles disent l’exclusion, la haine de l’autre, un repli sur soi mortifère. Elles cultivent volontiers le racisme, l’antisémitisme, l’islamophobie plutôt que la bienveillance, la bientraitance, l’accueil organisé de l’autre.
« Autant de fermetures et d’affrontements à venir »
En quinze ans, c’est-à-dire depuis le début du siècle, rien n’a changé. Si l’on regarde du coté de Patras, de Lampedusa, de Calais – du centre de Sangatte aux jungles successives – les politiques migratoires européennes ont le plus souvent échoué. Impuissance, incohérence, égoïsme semblent être les maîtres mots aux frontières de l’espace Schengen, à Bruxelles comme dans la majorité des capitales Européennes. Mais les images de ces migrants, souvent réfugiés, délaissés, esseulés, maltraités nourrissent et alimentent le rejet de ces populations, esquissent les grandes peurs contemporaines, posant des bornes identitaires comme autant de fermetures et d’affrontements à venir. (...)
On devrait plutôt s’étonner que ceux-là mêmes qui prétendent s’inquiéter du déclin de l’Europe ne comprennent pas qu’à l’inverse, dans un continent vieillissant, l’immigration devrait être perçue pour ce qu’elle est : à savoir l’un des moyens de compenser le vieillissement de nos populations et une courbe démographique inquiétante.
« Les dirigeants des États membres font la sourde oreille »
Depuis trois ans, les citoyens européens ont pris conscience des dangers des voies migratoires irrégulières. La mort rode en Méditerranée comme sur l’ensemble des routes, mais les dirigeants des États membres font la sourde oreille. Comme la majorité de leur opinion publique ils ne veulent pas voir, entendre, analyser et prendre les mesures adéquates ou alors sous la contrainte et de manière partielle. Tout cela provoque un sentiment de honte et de grand danger pour le projet européen humaniste, soucieux de l’effectivité des droits, et de la dignité de tous que nous appelons de nos vœux.
« Il n’est plus question de vaines paroles, mais d’un acte, d’un acte hardi, d’un acte constructif », disait Robert Schuman, le 9 mai 1950, il y a 65 ans, dans un discours qui fut la première pierre vers l’élaboration d’une Europe politique, économique et sociale. Fidèles à cet esprit volontaire et humaniste, à cet esprit de solidarité et d’accueil, nous, citoyens européens venus des 28 pays de l’Union européenne, appelons à l’organisation de marches de solidarité dans toute l’Europe.
« Débattre de politiques européennes migratoires alternatives »
Il s’agit :
– de montrer que la politique actuelle, loin d’apporter des solutions, est nuisible pour les migrants, pour les réfugiés pour les pays de départ comme pour les citoyens des pays d’accueil.
– d’appeler au respect du droit d’asile et à son application dans des conditions dignes et dans des délais raisonnables pour les demandeurs sur l’ensemble du territoire de l’UE ainsi qu’une juste répartition de l’accueil au nom de la solidarité dans les pays concernés.
– d’initier un changement de regard médiatico-politique où les termes « appel d’air », « flux », « stocks », « clandestins » sont désormais utilisés pour évoquer des groupes de personnes récemment arrivées sur nos territoires.
– d’informer nos concitoyens sur l’apport qu’ont représenté, représentent et représenteront demain plus que jamais les populations immigrées.
– de débattre de politiques européennes migratoires alternatives.
– d’inciter à la mise en place par des mesures concrètes d’un principe de solidarité dans l’accueil des populations étrangères.
– d’exiger sans délai et de manière pérenne que soit assurée la sécurité des personnes présentes sur la mer Méditerranée, dans et hors les eaux territoriales.
Les formes que prendront ces marches demeurent à inventer et nous avons toute confiance en de nouvelles initiatives citoyennes pour le faire. Pour notre part, nous appelons à l’organisation d’une première marche de Calais à Bruxelles au mois d’août 2015.
Mais cela ne peut rester un élan isolé. La force de ces marches en sera dans le nombre et leur diffusion dans l’Europe entière, elle reposera sur des initiatives locales et citoyennes et sur la mise à distance de tous les lieux communs sur les migrations aujourd’hui délivrés en Europe.
L’Europe ne peut se cadenasser dans ses frontières, elle a le devoir d’organiser les migrations, de les penser en imaginant les mobilités et les protections nécessaires.
Dès septembre 2015 donc, « les marches de la solidarité » doivent initier un nouveau mouvement civique en Europe, pour une Europe de la paix et de l’ouverture au Monde.