
Snobée par Emmanuel Macron et récusée par Marine Le Pen, la journaliste politique de France 2 n’arbitrera pas le débat du second tour de l’élection présidentielle, le 20 avril. Portrait d’une opiniâtre que le monde politique redoute.
« C’est mon principal regret de la saison : ne pas avoir pu interviewer Emmanuel Macron. C’est dommage et étonnant. » Ces mots d’Anne-Sophie Lapix, prononcés il y a quatre ans dans les colonnes du Parisien, résonnent fort en cette fin de campagne présidentielle. Depuis son fauteuil du 20 heures de France 2, la journaliste a reçu ces derniers mois tous les candidats, qu’elle a méthodiquement confrontés à leurs programmes. Tous, sauf un : le président, qui a ostensiblement snobé celle qui a succédé à David Pujadas en 2017 et évité l’antenne de la Deux avant le premier tour.
Emmanuel Macron et Marine Le Pen mènent-ils un front anti-Lapix ? Les deux ont balayé l’idée qu’elle puisse coanimer le débat de l’entre-deux tours, prévu le 20 avril à 21 heures, aux côtés de Gilles Bouleau, son homologue au 20 heures de TF1. Et lui ont préféré Léa Salamé, l’autre visage de la politique sur la chaîne publique. (...)
Après avoir naturellement figuré sur la liste des pressentis, France Télévisions n’a finalement même pas proposé son nom dans les ultimes négociations d’organisation du duel. « On savait très bien qu’elle serait récusée, il fallait la protéger. Mais ce n’est pas un traitement réservé à Anne-Sophie. À chaque fois, des journalistes sont révoqués par les candidats, c’est la règle du jeu, même si c’est cher payé. Ils lui reprochent juste de faire son travail », assure-t-on au sein du groupe public. La société de journalistes (SDJ), instance vigie de la rédaction, s’est offusquée mercredi que les politiques choisissent « les journalistes qui les interrogent ».
« C’est inadmissible », a dénoncé de son côté la section du Syndicat national des journalistes (SNJ) de France Télévisions, qui exige la tenue d’un rendez-vous avec le directeur de l’information, Laurent Guimier. (...)
Au sein de la chaîne, où beaucoup s’expriment sous couvert d’anonymat, Lapix reçoit louanges et nuances. « Je ne comprends pas que la direction de l’information ne la soutienne pas davantage. Ils devraient s’insurger contre ces méthodes inacceptables, tonne un cadre du groupe. Si c’est Gilles Bouleau pour TF1, ça doit être Lapix pour France 2. Les politiques n’aiment pas qu’on les pousse dans leurs retranchements. Anne-Sophie n’a pas peur de monter au filet. »
Édouard Philippe ulcéré, Xavier Bertrand anéanti
« Anne-Sophie », la Basque au parcours sage que le monde politique redoute. Elle n’y compte aucun ami, et pas mal d’ennemis. Coriace, précise, parfois assassine, elle divise. Ses questions cinglantes et ses rictus agacent. « Elle arrive par des détails, des attitudes, des mimiques, à se faire détester », lâche un reporter de la chaîne. « Les hommes politiques ont une plus forte résistance que les autres interviewés. Sans vouloir assouvir de passion sadique, c’est agréable d’aller au bout d’un questionnement », théorisait la principale intéressée en 2013, dans un entretien aux Inrocks.
Dans les arcanes du pouvoir, la liste de ceux qu’elle a déstabilisés en interview est longue. (...)
Ces dernières semaines, les candidats ont essuyé le tir de ses questions au laser. Des mots mêmes de Marine Le Pen, en petit comité : « C’est un mauvais quart d’heure à passer quand on va chez Lapix. » (...)
Dimanche 10 avril, lors de la soirée électorale du premier tour que coprésente Anne-Sophie Lapix sur France 2, Rachida Dati se lance dans une diatribe contre la gauche. « Vous en voulez à la gauche, mais votre parti est à 4,8 % ! », la stoppe net Lapix. Un sens de la repartie qui plaît au sein de la chaîne. « Anne-Sophie ne laisse rien au hasard. Elle arrive face aux politiques ultra-armée. Elle adore les chiffres et a toujours les bons. Elle sait où elle va », soutient Muriel Pleynet, rédactrice en chef de l’émission Élysée 2022. « Parfois, elle se focalise trop sur des détails et plombe l’interview. Mais ici, on aime les gens pugnaces. Quand Macron et Le Pen disent : “On ne l’aime pas”, on le prend comme un compliment », observe un reporter aguerri. « Quand Jean-Jacques Bourdin posait les mêmes questions, on trouvait ça couillu », lâche, dépitée, une de ses consœurs. (...)
« Elle ne déjeune pas avec les politiques, ne leur envoie pas de texto, n’a aucun contact avec eux sauf au moment du direct. C’est rare. » (...)
Les équipes d’Emmanuel Macron, parfois, se fendent d’un coup de fil pour se plaindre. À en croire plusieurs sources à France Télévisions, le candidat goûterait peu la ligne du JT, qu’il jugerait « décliniste » – ce que son entourage dément. Il a refusé de participer à Élysée 2022, le show politique maison où, en cours de saison, elle a été appelée à la rescousse, comme Patrick Cohen, Maryse Burgot ou Hugo Clément… « Elle a accepté de venir et a joué le jeu, là où Laurent Delahousse et Élise Lucet ont refusé. Elle est “corporate” », insiste un fidèle.
Son avenir au sein de France Télé, pourtant, alimente les conversations. Le groupe pourra-t-il maintenir une présentatrice du 20 heures en délicatesse avec l’Élysée, qui que soit son prochain locataire ? « La remplacer serait très mal perçu en termes d’indépendance », pronostique une signature de l’antenne, soulignant que les attaques contre Lapix coïncident avec celles lancées contre l’audiovisuel public – Emmanuel Macron a promis de supprimer la redevance, Marine Le Pen de privatiser le groupe. (...)
Anne-Sophie Lapix, elle, ne dit mot. Sollicitée, elle n’a pas souhaité répondre à nos questions. « Elle ne laisse rien paraître de ses intentions. Mais elle est capable de partir si on lui casse les pieds », suppose un de ses amis. Son entourage la décrit affectée par ces remous. « C’est vraiment dur pour elle. » Certains se verraient bien dans le fauteuil et se remémorent une phrase qu’elle a maintes fois répétée : une longue carrière « à la Pernaut, Chazal, Poivre d’Arvor ou Pujadas », très peu pour elle, qui se targue d’avoir changé de cap tous les quatre ou cinq ans. Presque un quinquennat.