
C’est sous le nom d’Asla, prétendument association de soutien aux lanceurs d’alerte, que se cachent désormais des membres clés du groupuscule dissous le 3 mars pour incitation à la haine, la violence et la discrimination. Les organismes de lanceurs d’alerte – les vrais – en appellent au législateur pour les protéger de ce confusionnisme dangereux.
Accusé par le gouvernement d’agir comme « une milice privée [...] incitant à la haine, à la violence ou à la discrimination », l’organisation, tristement célèbre pour ses opérations anti-migrants dans les Alpes ou dans les Pyrénées, avait d’abord déposé un référé-suspension devant le Conseil d’État, espérant s’offrir un sursis. Déboutée le 3 mai dernier, elle change de braquet pour vernir sa théorie du grand remplacement d’un prestige citoyen : le 7 avril, ses militants les plus investis ont enregistré une association – loi 1901 – de soutien aux lanceurs d’alerte (Asla).
Déclarée à la préfecture de police de Paris, la nouvelle structure entend « soutenir moralement, matériellement et financièrement les lanceurs d’alerte », autour de « groupements affinitaires ». Aux manettes : Thaïs d’Escufon, ex porte-parole de GI aperçue chez Hanouna, et Johan Teissier, condamné à six mois de prison ferme en août 2019 pour avoir tenté de bloquer la frontière au col de l’Échelle, dans les Hautes-Alpes. (...)
Sur son site, hormis quelques photos issues de manifestations de soutien à Génération identitaire, l’Asla ne fait aucune mention de sa filiation. Mais se réclame d’un héritage grec, romain, gaulois et monarchiste, affirmant ici que « la liberté d’expression est un principe fondateur de la civilisation européenne », se posant là en victime expiatoire « [des] ingérences des Gafam », à l’heure où Facebook vient de suspendre Donald Trump pour deux ans. (...)
Pour y voir plus clair dans cette mélasse confusionniste, il faut lire L’Incorrect, le journal des proches de Marion Maréchal. Thaïs d’Escufon – un pseudonyme – y promet de « révéler toutes les censures sur l’immigration et l’islamisation », assurant que son conventicule est « entouré de juristes et d’avocats ». Qui l’ont sûrement avertie des risques inhérents à la reconstitution de ligues dissoutes : 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Dans une vidéo YouTube mise en ligne le 22 avril, la jeune femme précise encore un peu plus ses intentions : sa nouvelle association « aura pour unique fonction de communiquer sur les procédures judiciaires ».
Et de citer l’exemple de Goussainville. En octobre 2020, plusieurs adhérents de Génération identitaire organisent une descente – « une campagne d’information » – dans la commune du Val-d’Oise pour « alerter la population locale » sur le pedigree du nouveau maire sans étiquette, Abdelaziz Hamida, accusé d’être fiché S (l’édile a depuis gagné son procès en diffamation contre L’Express, qui avait évoqué en premier ce suivi policier). Après avoir placardé des affiches « Aujourd’hui Hamida, demain le califat », cinq colleurs sont placés en garde à vue. Thaïs d’Escufon dénonce aujourd’hui « une persécution judiciaire ». D’où l’importance pour l’Asla de lever des fonds afin de financer ses multiples joutes devant les tribunaux : elle revendique aujourd’hui 2 500 euros de dons, sur un objectif de 10 000. (...)
À l’extrême droite, tout le monde est “lanceur d’alerte”
C’est une tendance de fond depuis quelques années : l’extrême droite maquille ses propagateurs de haine en martyrs de la bien-pensance. Philippe de Villiers ? Lanceur d’alerte. Éric Zemmour ? Lanceur d’alerte. Les militaires signataires de tribunes séditieuses ? Lanceurs d’alerte. Déjà, en février dernier, dans un communiqué de presse s’inquiétant de la possible dissolution de Génération identitaire, le Rassemblement national usait du même vocabulaire (...)
Chez les défenseurs de la cause, les vrais, la pilule a du mal à passer. « Ce n’est guère surprenant, dans la mesure où cela fait depuis plusieurs mois que Damien Rieu, le leader de ce groupuscule, se définit lui-même comme lanceur d’alerte », soupire Jean-Philippe Foegle, chercheur en droit public et coordinateur de la Maison des lanceurs d’alerte, une association qui, depuis 2018, a accompagné 175 personnes dans des domaines aussi variés que la corruption ou la violation de données de santé.
« Il s’agit néanmoins d’une manœuvre détestable : après sa dissolution, ce groupuscule va utiliser à des fins politiques le crédit du terme de lanceur d’alerte pour redorer son propre blason, au détriment de celle et ceux qui perdent leur emploi et leur santé pour avoir agi dans l’intérêt général. C’est abject. » Pour Nadège Buquet, déléguée générale de Transparency International France et coprésidente de la Maison des lanceurs d’alerte, ce brouillage des codes issus de la culture contestataire et de la désobéissance civile vise un seul objectif : « rendre acceptable et commun un discours qui, pourtant, est d’une extrême violence sur le fond ».
Protéger l’alerte (...)
Un amalgame d’autant plus mortifère que le lanceur d’alerte obéit à un statut juridique précis, sanctuarisé par la loi Sapin II en 2016 : c’est « une personne physique qui signale de manière désintéressée et de bonne foi [...] un crime, un délit, une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général dont elle a eu connaissance ». Une définition bien éloignée des actions de l’extrême droite radicale, mitoyenne des sphères complotistes.
« Ces activistes pratiquent la désinformation active, or la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a fait de l’exactitude des informations divulguées un critère pour accorder une protection aux lanceurs d’alerte », renchérit ainsi Nadège Buquet. (...)