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IRIN - nouvelles et analyses humanitaires
Aide et politique La biométrie au service de l’humanitaire : des réfugiés répertoriés grâce à leur empreinte oculaire
Article mis en ligne le 26 mai 2016

(...) Sabha n’a même pas besoin de sortir son porte-monnaie au moment de passer à la caisse. Il lui suffit de regarder dans une petite machine noire pour payer ses courses.

Un système de scan de l’iris vient en effet tout juste d’être mis en place à Azraq, un camp situé dans le désert jordanien qui accueille quelque 30 000 réfugiés syriens.

La machine enregistre une image détaillée de son oeil qu’elle compare ensuite à des centaines de milliers d’autres. Une fois la correspondance établie, le système déduit la somme des courses de Sabha de l’allocation mensuelle qui lui est accordée par le Programme alimentaire mondial (PAM). Cette technologie, relativement nouvelle, est aujourd’hui devenue la méthode standard pour la distribution de l’aide alimentaire à Azraq.

« C’est une première pour les réfugiés, mais aussi pour l’ensemble de l’industrie du commerce et du détail », a dit à IRIN Shada Moghraby, la porte-parole du PAM en Jordanie. Des scanners seront bientôt installés à Zaatari, le principal camp de réfugiés syriens en Jordanie, et on espère aussi en équiper les supermarchés situés en milieu urbain. Les quelque 85 pour cent de réfugiés syriens qui vivent dans les villes en Jordanie utilisent en effet déjà la reconnaissance oculaire pour retirer leur allocation dans des distributeurs.

Tous les réfugiés ne sont cependant pas convaincus par la technologie. Sabha dit que le nouveau système lui rend la tâche plus difficile – et les défenseurs de la vie privée se disent eux aussi préoccupés.

« C’est un outil très puissant », a dit Eric Töpfer, de l’Institut allemand pour les droits de l’homme. « Si [les données] ne servent pas seulement [à des fins humanitaires] et qu’elles sont partagées plus largement et utilisées sans restriction ou avec très peu de restrictions… il peut alors y avoir des conséquences négatives. »

Nouvelle technologie, nouveaux problèmes

Si Sabha peut régler ses courses aussi facilement, c’est grâce au réseau de données biométriques qui fait désormais partie de la vie des plus de 600 000 réfugiés syriens enregistrés en Jordanie.

Les scans d’iris sont effectués à l’arrivée des réfugiés dans le pays. Ils sont conservés dans une base de données gérée par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et utilisés pour vérifier l’identité des individus lorsque ces derniers sollicitent l’aide du HCR et, plus récemment, d’autres agences des Nations Unies comme le PAM.

Le système présente des avantages certains par rapport aux cartes qu’il remplace. Il réduit notamment les démarches administratives nécessaires en créant un lien direct entre les bénéficiaires et l’aide qu’ils reçoivent. Il s’agit en outre d’une méthode de distribution plus sûre qui permet de s’assurer que les allocations sont utilisées par les personnes à qui elles sont destinées.

Selon Mme Moghraby, les commentaires recueillis auprès des réfugiés du camp d’Azraq sont généralement positifs. Les personnes âgées semblent particulièrement en tirer avantage.

« Il permet d’éliminer les complications et le temps d’attente et d’éviter le problème des pertes de cartes », a-t-elle dit.

Au supermarché d’Azraq, toutefois, les réfugiés eux-mêmes ne semblent pas du tout convaincus par le nouveau système.

Sabha estime que le système de reconnaissance de l’iris ne lui a pas simplifié la vie et qu’il a plutôt eu l’effet inverse. « Je suis enceinte, et j’ai peur pour l’enfant qui va naître », explique-t-elle en montrant le chaos qui règne dans le supermarché.

Puisqu’elle a été désignée comme chef de famille, elle seule peut accéder, grâce à son empreinte oculaire, à l’allocation mensuelle accordée par le PAM.

« Je préférerais que mon fils aille acheter la nourriture à ma place, mais il ne peut pas à cause du système de scan de l’iris. Ma soeur est dans la même situation. Elle a six enfants. Ils sont jeunes, mais elle doit les amener avec elle au supermarché lorsqu’elle va faire ses achats. » (...)

Des avantages qui sont aussi des inconvénients

Les technologies biométriques présentent ainsi de nombreux autres avantages qui peuvent aussi être des inconvénients.

Le principal avantage de la technologie de reconnaissance oculaire est qu’elle permet aux réfugiés d’établir leur identité hors de tout doute sans avoir à montrer de documents et d’ainsi accéder en toute sécurité à l’aide et aux services. Mais cela rend aussi la possibilité d’abus ou d’erreurs particulièrement dangereuse.

Eric Töpfer, chercheur à l’Institut allemand pour les droits de l’homme, s’inquiète que des acteurs non autorisés puissent accéder aux informations des réfugiés ou que la création de bases de données servant de nouveaux objectifs – comme la lutte contre le terrorisme ou le contrôle de l’immigration – soit approuvée. (...)